samedi 6 mars 2021

La bête et sa cage ★★★★☆ de David Goudreault

Absolument dingue ce livre. 
Le milieu carcéral m'intrigue, il m'arrive de passer devant la prison de Fresnes et à chaque fois, je ressens quelque chose de particulier, en l'espace de quelques secondes, j'essaie de me projeter derrière ces murs. J'imagine ces hommes et ces femmes, enfermées, privées de liberté. J'imagine l'insalubrité mais je me trompe peut-être. Derrière ces fenêtres sales, l'intérieur est possiblement nickel, propre, accueillant. Je me surprends à vouloir que les conditions soient saines à l'intérieur. Ces hommes et ces femmes ont été jugés, ils et elles ont commis des actes plus ou moins répréhensibles, et une peine, plus ou moins longue, a été prononcée à leur encontre, mais, je ne leur souhaite pas le pire, étrangement. 

Et quand bien même, condamnés à vivre entre quatre murs, la vie continue pour eux, les hormones continuent de travailler, les pulsions d'exister et leur psyché continue de ruminer. 
La bête est ici un homme et dans sa cage, il n'est pas tout seul et doit s’accommoder des autres détenus,  de leur testostérone, de la hiérarchie établie, de la privation, du manque ... de tout. D'amour surtout. 
La bête n'est pas belle, et pourtant, pourtant j'ai eu envie de lui venir en aide. La bête à sa mère avait justement besoin d'une mère et de son amour. Il en a été privé. 
Alors forcément, ça s'est détraqué en lui. 
Je n'ai pu rester insensible à sa naïveté, touchante.
Ses réflexions d'incarcéré sont percutantes.
Un enculé en mal d'être. Qui se cherche.

Je n'aurai plus aussi souvent l'occasion de repasser devant la prison de Fresnes, la faute à la maladie qui nous a enlevé le papa, le papy, mon beau-papa que je visitais alentour, mais il y a une chose dont je suis certaine, c'est que j'ai très envie de découvrir le troisième et ultime tome de la Bête. Abattre la bête. J'appréhende. La puissance des mots, la force des deux premiers tomes m'ont quand même bien troublée, bien secouée... mais c'est en se confrontant à ce genre de parcours de vie que l'on peut  aussi grandir, il me semble. J'ai appris, en lisant La bête et sa cage, que notre société a des failles. Je le savais déjà. Une piqûre de rappel. Douloureuse. On devient la bête. On ne naît pas bête. 
Il y a des blessures qui ne guérissent pas. 

Une écriture maîtrisée, non dénuée d'humour, oui, vraiment. J'ai ri ! 
Oui mais voilà, ce n'est pas la douce lecture apaisante. 
Ce n'est ni tendre ni reposant.
Donc une lecture qui vaut le détour, à mon avis, mais à qui il faut ménager le moment adéquat.

Prologue
« J'ai encore tué quelqu'un. Je suis un tueur en série. D'accord, deux cadavres, c'est une petite série, mais c'est une série quand même. Et je suis jeune. Qui sait jusqu'où les opportunités me mèneront? L'occasion fait le larron, le meurtrier ou la pâtissière. C'est documenté.
Depuis quatre jours déjà, mon univers est réduit à une cellule d'isolement. Mon avocat vient tout juste de m'apporter papier et crayons. Il prétend que ça m'aidera à tuer le temps et que ça pourrait nous être utile au procès. Mes écrits intéressent les légistes et les spécialistes de tout acabit. J'ignore ce qu'ils en tireront, mais mon juriste endimanché me garantit que ce sera du vrai bonbon pour les psychiatres.
La dernière fois que j'ai commis un meurtre, j'avais tout noté. Les experts s'en sont inspirés pour la rédaction de leurs rapports psychologiques. Rapports ayant contribué à déterminer ma peine. La peine, ça ne se calcule pas. » 

«  Question sodomie, je suis un homme passif ; j'attends que ça passe. Dès mon atterrissage en prison, j'ai conclu que c'était la meilleure attitude à adopter. Me débattre excitait mon agresseur. Déjà que je n'éprouvais aucun plaisir, je n'allais pas attiser le sien.
La société est pleine de préjugés face aux enculés. On ne fait rien de mal pourtant. Ce sont les enculeurs qui se salissent les mains, entre autres. Particulièrement dans les cas d'agressions sexuelles, comme celles que je subissais depuis mes premières heures de détention. Toutefois, les préjugés pèsent toujours sur le dos de l'enculé, et c'est le cas de le dire. Je n'ai jamais voulu l'être et n'ai jamais rien fait pour en arriver là. C'est très néfaste pour l'estime de soi, être enculé. Cependant, on traite jamais personne d'enculeur. C'est une injustice profonde. Pour mon malheur, ce n'est pas demain la veille que nous verrons se lever des groupes de défense des enculés. »

« J'aspirais, dans un avenir plus ou moins rapproché, à établir des relations professionnelles plutôt que sexuelles.
Je tiens à préciser qu'en prison, ce n'est pas de l'homosexualité. C'est de la gestion de surplus de testostérone en circuit fermé, de l'intermittence circonstanciée. » 

« J'ai moi-même goûté à sa médecine la première fois que j'ai osé me refuser à lui. J'avais beau hurler, me débattre, lui rappeler que je venais de tuer une vieille femme sans défense, il n'était guère impressionné. Il me l'a signifié d'un vif coup de tête dans la mâchoire. Il me manque encore une palette et demie. L’État devrait me payer de nouvelles dents sous peu. C'est un des avantages sociaux des parias de la société, le dentiste gratis.
Ça ne paraît pas à l'écrit, mais depuis, je siffle davantage que je ne parle. Je fais des efforts pour articuler et réduire l'effet de ventilation. C'est difficile d'établir ma réputation de gangster avec cette fuite d'air. Les menaces sont toujours moins senties lorsque sifflotées. Ve vais t'affaffiner, enfant de ssshienne ! Vous voyez....»

« Et puis malade mental aux yeux de qui ? C'est qui, la norme, qui peut prétendre être sain d'esprit ? Toute la société est infectée. A petite échelle, je suis un malade mental, mais avec un peu de perspective je deviens un symptôme social. Je suis le fruit défendu de votre arbre pourri jusqu'aux racines. »

« J'aurais une réduction de peine. En plus, j'avais un plan d'avenir : je ferais des conférences et des ateliers de croissance personnelle à ma sortie. Mon agente doutait de l'abondance de demandes pour un cas comme moi. Elle n'entamait en rien mon optimisme. Les récits de résilience avec des parcours tortueux, ça excite la populace et fait pouiller les journalistes. On aime les modèles, surtout les modèles accidentés bien débosselés par le système. Ça sécurise les contribuables. J'allais leur sortir le grand jeu ! »

« En-dedans, on a un peu de drogues et beaucoup de médicaments. Surtout dans notre aile de coucous. On a tous des diagnostics, plus ou moins légitimes. Au milieu de ces toxicomanes de longue date, normal que le marché de la pilule soit florissant. Si ce n'était pas ça, on trouverait autre chose, simple question de disponibilité. Vous croyez que les Inuits se feraient chier à sniffer de l'essence si un vendeur de poudre opérait sur leur banquise ? »

« Édith devait procéder à une première évaluation avant de m'envoyer voir le docteur. Ça me laisserait le temps de développer mon argumentaire. Si je parvenais à convaincre cette jeune agente fraîchement sortie de l'école, je duperais le médecin facilement. On n'a jamais une deuxième chance de faire une première bonne dépression. »

«  La vie, ce n'est pas une boîte de chocolats, c'est une poutine. On a rarement un goût pur, distinct. Tout est pogné, mélangé ensemble. Un peu plus de frites ou de fromage dans ta bouchée, mais ça baigne toujours dans la sauce. Pareil pour la vie et ses problèmes ; l'alcoolo vient avec un peu de dépression, l'anorexique pratique l'automutilation, le schizophrène marne dans la pédophile entre deux psychoses. Les obsédés de l'évaluation clinique appellent ça de la comorbidité. Moi, j'appelle ça la triste réalité. »

« L'érotisme et la violence ne sont jamais loin, d'où la sexualité brutale et les violences conjugales. Éros prend Thanatos avec un strap-on clouté depuis la nuit des temps. C'est documenté jusqu'aux grottes de Lascaux. »

« Il y a trop de malaise à parler des races de nos jours. C'est ça, le véritable racisme, cette obstination à tout niveler sans reconnaître les différences. Les Noirs aiment le sport, les Jaunes aiment les mathématiques, les Bruns aiment les tapis et les Blancs aiment étendre leur territoire et exterminer ce beau monde. C'est documentaire ; filmé et documenté. Faut se dire la vérité, y a pas de gêne à être les vainqueurs impénitents asservissant la majeure partie de l'humanité. J'en suis fier, moi ! »

« Les poètes sont encore plus paresseux que les détenus. Ils ne remplissent pas le quart de leurs pages, c'est du grand n'importe quoi. Je voulais de la vraie lecture alors j'ai fouillé par moi-même. J'ai repris Le Secret, pour la quatrième fois. Avec la ferme intention de le finir. Puis je me suis trouvé une histoire de dragons avec des chevaliers et de la magie, ça c'est toujours bon. Le genre le dit : c'est fantastique ! »

Quatrième de couverture

Sur les conseils de son avocat, un jeune adulte condamné à seize ans de prison raconte son quotidien. On suit avec étonnement les lubies délirantes de ce prisonnier singulier qui, malgré la violence de ses codétenus et sa propre toxicomanie, demeure décidé à faire sa place parmi les grands criminels. De petits en grands méfaits, cet homme naïf, narcissique, sans pitié et pourtant terriblement attachant, construit ce qu’il voit déjà se dessiner comme une fulgurante carrière de mafieux, tandis qu’il croit avoir trouvé en Édith – son agente correctionnelle – le grand amour rédempteur : elle est folle de lui, il en est persuadé. Truculent, sensible et vibrant, La bête et sa cage plonge dans la réalité d’un univers carcéral brutal. Tour à tour grave et drôle, le roman est brillamment porté par l’écriture inventive et percutante de David Goudreault, et vient distordre la frontière entre bourreau et victime : si la folie pousse au crime, n’est-ce pas la société qui rend fou ?
« J'ai encore tué quelqu'un. Je suis un tueur en série. D'accord, deux cadavres, c'est une petite série, mais c'est  une série quand même. Et je suis jeune. Qui sait jusqu'où les opportunités me mèneront ? L'occasion fait le larron, le meurtrier ou la pâtissière. C'est documenté. »
Éditions Philippe Rey, mars 2019
252 pages

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