mercredi 3 août 2022

Le temps des grêlons ★★★★★ de Olivier Mak‐Bouchard

À hauteur d'enfant, le monde est définitivement moins âpre. Plus doux. Plus clément. Plus léger.

Ce ton naïf dans le contexte de l'histoire que nous conte ce livre et qui n'est pas sans rappeler certaines périodes tragiques de notre histoire, quelle excellente idée. J'adhère complètement. Le registre littéraire est judicieusement choisi. Par le truchement de l'imaginaire, l'auteur nous embarque dans un monde troublant de réalisme. Le parallèle avec notre société qui ne sait que faire de ses "indésirables" est à portée de mots. Des mots qui font échos aux travers de notre société d'hier et d'aujourd'hui qui s' "ismifie" dangereusement (extrémisme, racisme, consumérisme...).

Il est très fort ce livre. 
Parce qu'il n'est absolument pas pesant. 
On sourit beaucoup, on rit même. 
Le "conteur" enfant devenu au fil des pages un adulte-enfant, attaché à sa maman et à sa Floraline est très attachant et ses propos apportent beaucoup de fraîcheur à la lecture. 
Et quelle imagination de l'auteur ! 
Et un travail d'orfèvre certain à souligner. Rien n'a été tracé au hasard. Du prologue aux tout derniers paragraphes, qui viennent même après le "Achever d'imprimer". Des allusions à son précédent et premier roman "Le Dit Mistral" (un bonheur de lecture !) au déroulé des événements. Jusqu'au prénom du narrateur que l'on découvre à la toute fin. L'illumination ! 
Topissime ! 

Une histoire atypique qui vaut vraiment le détour. Et une chronique volontairement dépourvue de tout résumé ou détail du scénario dans l'espoir de vous laisser à vous aussi la surprise de la découverte si vous souhaitez le lire.
 
« .... « C'est là-dedans. Il faut tout lire, tu comprendras. » Il avait raison. J'ai tout lu, et j'ai compris. » (les mots de l'éditeur dans le prologue)


« Le temps et l'espace ne sont que des repères, non des limites insurmontables. » Hugo Pratt

« Avec toutes les photos et les vidéos que les gens mettent sur son ordinateur, il devait forcément avoir compris pourquoi les appareils photo ne marchaient plus. Il n'était plus un enfant mais ça se voyait qu'il n'avait pas voulu grandir trop vite non plus. La voix du journaliste passait sur la sienne et traduisait :
- On s'en est aperçus très vite, les gens nous ont signalé qu'ils avaient des problèmes avec leurs selfies et leurs posts. On a pensé à un hackeur qui nous aurait piratés, qui aurait attaqué nos serveurs, donc on a commencé à chercher du côté du Cloud. C'est là qu'on a observé un premier bug : des flux de données rentrent et sortent toujours dans le Nuage; par contre, de la data reste coincée à l'intérieur. On ne comprend pas encore pourquoi, c'est fou, mais c'est comme ça : on dirait que le Nuage fait le difficile, qu'il est plein, qu'il choisit ce qui peut sortir ou pas. Ça fait du sens ou pas plus que ça ?  
L'Homme le Plus Riche du Monde a fait une pause, puis a repris.
- Du coup, on s'est demandé comment le Nuage sélectionnait la data. On a décidé de commencer par le commencement, et de voir ce qui se passait avec un vieil appareil photo mécanique. Eh bien, on a augmenté le temps de pose jusqu'à une éternité, mais ça ne change rien : l'homme ne réfléchit plus la lumière. C'est comme si elle passait à travers nous. Elle est encore réfléchie par votre chien, ou vos géraniums, mais plus par nous. Ne me demandez pas pourquoi c'est arrivé aujourd'hui, ce qui a changé ou qui a pu déclencher tout ça, je n'en ai pas la moindre idée. »

« Les semaines passaient et les Grêlons, ceux d'Arthur Rimbaud comme les autres, non seulement ne faisaient toujours pas de vers, n'ajoutaient aucune rime à leur oeuvre, mais restaient farouchement hébétés, ne disaient rien, ne savaient rien. Les yeux ailleurs ils étaient là sans être là. Ils ne faisaient que nous regarder, fixement. La déception a été grande, la moitié des profs de lettres et d'histoire se sont mis en dépression jusqu'à la fin de l'année. »

« Là, ce que Le Nuage relâche, ce n'est pas des 0 et des 1, du binaire. C'est autre chose, un langage qui n'a ni queue ni tête, de la data d'un nouveau type, qui s'échappe du Nuage au milieu du reste en petits paquets. de micro-averses qui tombent comme ça, alors qu'on n'a rien demandé. Il ne s'agit pas de flux, qui sont vectorisés ; non, Le Nuage nous crache dessus des micro-averses de data sauvage. Un peu comme si Le Nuage était plein à ras bord, qu'il était trop lourd et qu'il n'arrivait plus à se contenir un jour de plus de façon normale. Imaginez des grêlons qui tombent du Nuage : de la date congelé à l'intérieur et maintenant elle est trop lourde pour y rester alors elle chute. »

« - C'est incroyable ce qui se passe, avec les Grêlons, on se croirait dans un film de science-fiction.
-C-c'est clair, quand tu penses à t-tout ce qu'ils avaient i-imaginé à Hollywood, les p-petits hommes verts, les sou-soucoupes volantes, les v-voyages dans le temps, et au final r-rien de tout ça, juste nos p-propres photos qui nous t-tombent dessus.» Jean-Jean bégayait encore plus que d'habitude, à cause de Gwendo sans doute, Il faisait quand même moins le fier, tout gen-gendarme qu'il était.
- Vous avez de la chance. En Angleterre, l'arrivée de la photogwaphie et sa... euh... démocratisation ont pris plus de temps, on a moins de retours pour l'instant. Comment vous appelez ça déjà? Hmm... Ah! Oui, les Éclipses Grêlonnes... C'est toujours plus joli en fwançais qu'en anglais, plus poétique. À Londres, on appelle ça un P.R.E., un Photonics Retro Event. »

« La Photographie accoutuma les yeux à attendre ce qu'ils doivent voir; et elle les instruisit à ne pas voir ce qui n'existe pas, et qu'ils voyaient fort bien avant elles. »

Quatrième de couverture

Du jour au lendemain, partout sur la planète, c’est la stupéfaction : les appareils photographiques ont cessé de fonctionner, ils refusent d’enregistrer la présence des personnes ! C’est à croire que l’univers, saturé de nos présences, a décidé de se révolter contre l’espèce humaine. En Provence, trois enfants doivent grandir avec ce phénomène inexplicable, et voient leur monde basculer dans une direction que personne n’aurait imaginée...
Olivier Mak~Bouchard est l’auteur du Dit du Mistral (Le Tripode, 2020). Avec Le Temps des Grêlons, il nous offre un second roman tout aussi étonnant, une fable envoûtante, douce et âpre, qui questionne une nouvelle fois les menaces qui pèsent sur notre temps.

L'illustration de couverture a été réalisée par Phileas Dog.

Olivier Mak-Bouchard a grandi dans le Luberon. Il vit désormais à San Francisco. Il est l’auteur au Tripode du Dit du Mistral (prix Première Plume, 2020) et du Temps des Grêlons (2022).

Éditions Le Tripode,  mars 2022
352 pages

1 commentaire:

  1. Bonjour, je viens de finir le livre. Je l'ai dévoré, jusqu'à la toute dernière ligne de la toute dernière page. J'ai beaucoup aimé cette lecture mais malgré ça j'ai l'impression d'avoir loupé quelque chose sur le dénouement. Qui est le narrateur Peter ? Comment la série de mail ajoute t elle une dimension à l'histoire ? Et enfin, pourquoi tant d'initiales et que représentent elles ? Je vous serai reconnaissante si vous arriviez à répondre à l'une de ces questions 😊 Merci, Léa

    RépondreSupprimer