Coupeurs de Feu 🔥
La langue des choses cachées.
Une touche de gothique, un soupçon de sacré, une lanque poétique, une ambiance sombre et lumineuse à la fois, le tout dessine un merveilleux et fascinant conte initiatique. Entre les mots de Cécile Coulon se glissent la noirceur de nos âmes, les tourments d'hommes et de femmes, la violence et les cris, oppressants, de certains, le silence des autres ; le trait d'union, ici, ce jeune "rebouteux", formé par sa mère, vieillissante, qui vient de se retirer . Il vient d'être appelé, justement, et pour la première fois, il sera seul maître à bord. Semeur d'espoir. D'équilibre.
Le temps d'une nuit, dans la nature, au Fond du Puits, un enchantement. Superbe !
Merci Cécile Coulon.
« C'est ainsi que vient la mort, nous l'accueillons avec des bras pleins de fleurs, des yeux pleins de larmes, surpris qu'elle nous connaisse si bien, et qu'elle éveille en nous des amours plus fortes que la vie elle-même. »
« Au milieu de cette foule aveugle, titubante, certains comprennent les choses cachées. Ils devinent en silence les grands tremblements du corps, les affaissements soudains du sang, ils possèdent le don, la force. Ils se mêlent aux autres et les soignent, les apaisent, ils ressemblent à des hommes et des femmes mais ils portent en eux des décennies de douleur et de joie, ils connaissent le feu, ils l'ont en eux, ils maîtrisent les flammes. Comme des chiens de berger autour d'un troupeau affolé par l'orage, ces gens-là s'approchent d'un corps et immédiatement le corps parle avec eux, s'exprime, ils entendent, écoutent, répondent, ils guérissent, dans un fond de ferme, près d'un lit sale, à côté d'un berceau cassé, ils guérissent, voilà, on les appelle pour cela, mais c'est bien autre chose que nous ne comprenons pas.
Ils ont appris, très tôt, la langue des choses cachées. »
« Le Fond du Puits repose toujours à l'ombre: l'eau y est fraîche, l'herbe plus verte que sur les deux seins pelés qui l'entourent, une seule route le traverse, un clocher le grandit. Les maisons y sont bien rangées. Les vivants persistent à vivre. On ne quitte jamais le Fond du Puits sur ses deux jambes, mais toujours portés par d'autres. Des sorciers insolents ont fait ici de grands feux pour attraper le soleil et le soleil les a punis : plus jamais il ne vient. Parfois il effleure, en de rares occasions, il brûle les yeux, la peau éclate en bulles rouges sur le dos des enfants, alors on se terre encore plus loin, dans les arrière-cuisines et sous les appentis en bord de rivière. Le Fond du Puits s'appelle ainsi car, du sommet de la colline où le garçon se trouve, on n'imagine pas que la terre puisse accepter des endroits pareils. »
« L'homme aux épaules rouges est fait d'une chair de muscles et d'alcool, il manque de sommeil, de lumière et de caresses, il ne connaît rien des sourires sincères et des paroles douces, il a violé des femmes, cogné des hommes, vidé des bêtes, il boit comme un chien, il hurle, il rugit, il se branle dans les draps de la défunte et, quand ce n'est pas assez, il chasse les filles vierges des hommes qu'il connaît depuis l'enfance. C'est un humain qui ne mérite pas qu'on le nomme ainsi, mais lorsqu'il est près de son enfant, d'autres couleurs remuent à la surface, il se transforme doucement, il cherche en lui des restes d'émotions intenses. Il aime cet enfant, le voir malade le rend fou, le savoir condamné le tuerait. »
« Si l'enfant meurt, il sera moins qu'un homme, moins qu'une bête, et cette brute aux épaules rouges a peur de ce qu'il y a sous les hommes et les bêtes : le vide. »
« Il rêvait des mains, parfois douces et roses, parfois veinées et jaunes, qui effleuraient celles de sa mère. Petit, il était fasciné par ces bras tendus vers elle, par ces doigts arqués, ces ongles mangés par la vieillesse ou la maladie, le reste du corps était caché sous un drap, mais les mains, les paumes, les poignets, il les voyait, vivants, lancés tels des fouets, le sang circulait encore, la pulpe des doigts gonflait, l'espoir habitait ces mains et cet espoir l'émerveillait. »
« Les cauchemars n'existent pas, ce sont des rêves un peu tordus. »
« Le fils aurait aimé qu'on appelle sa mère uniquement pour ces âmes-là. Les animaux savaient ce qu'ils lui devaient. »
« Ce travail sa mère dit que c'est un métier comme un autre et qu'il n'y a pas de mot mieux trouvé pour définir ce qu'ils font - permet aux familles de résister aux secousses du temps et du sol, il inspire les romanciers, les pasteurs et les sorcières, il déterre les vieilles histoires et enfouit celles qui ont besoin, encore, de mûrir. Mais si quelqu'un trouble le processus, si une voix recouvre celle des choses cachées, alors le fils sent trembler un autre monde, plus violent, plus noir, un lieu d'horreur. »
« - Je pense que tous les lieux méritent d'être habités.
Puis elle ajouta :
- Mais pas par n'importe qui. »
« Il pense à l'autre femme disparue, mariée à l'homme aux épaules rouges, dont le petit est cloué au lit avec sur son front brûlant le regard dégoûtant d'un père brisé d'être de ces hommes-là, boursouflé de haine, de faux pouvoir, à la morale friable et sèche. Pourtant cet homme règne sur la vie et la mort de ces deux femmes par les vies qu'il a nichées à l'intérieur d'elles, comme on cache son meilleur atout au milieu du paquet de cartes. La voix du cœur du fils répète que ce n'est pas juste.
Ce n'est pas juste.
Les mots de la mère reviennent en sa mémoire : l'équilibre.
Il pense avoir le don de l'équilibre. Il réajuste, répare, range les villages et les maisons, il trie, il compense, il égalise les peines et les soupçons. C'est là son pouvoir : harmoniser la cruauté. »
Quatrième de couverture
À la tombée du jour, un jeune guérisseur se rend dans un village reculé. Sa mère lui a toujours dit : « Ne laisse jamais de traces de ton passage. » Il obéit toujours à sa mère. Sauf cette nuit-là.
Cécile Coulon explore dans ce roman des thèmes universels : la force poétique de la nature et la noirceur des hommes. Elle est l'autrice de Une bête au Paradis, prix littéraire Le Monde, de Trois saisons d'orage, prix des Libraires, et du recueil de poèmes Les Ronces, prix Apollinaire. Avec La Langue des choses cachées, ses talents de romancière et de poétesse se mêlent dans une œuvre littéraire exceptionnelle.
Les Éditions de l'Iconoclaste, janvier 2024
135 pages
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