jeudi 17 novembre 2016

Continuer de Laurent Mauvignier *****

Les Éditions de Minuit, août 2016
239 pages

Quatrième de couverture


Sibylle, à qui la jeunesse promettait un avenir brillant, a vu sa vie se défaire sous ses yeux. Comment en est-elle arrivée là ? Comment a-t-elle pu laisser passer sa vie sans elle ? Si elle pense avoir tout raté jusqu’à aujourd’hui, elle est décidée à empêcher son fils, Samuel, de sombrer sans rien tenter.
Elle a ce projet fou de partir plusieurs mois avec lui à cheval dans les montagnes du Kirghizistan, afin de sauver ce fils qu’elle perd chaque jour davantage, et pour retrouver, peut-être, le fil de sa propre histoire.

Mon avis ★★★★★


Excellent !!
Atteinte en plein cœur, la langue est belle, touchante, romanesque, Laurent Mauvignier nous emmène dans un beau voyage, une ultime chevauchée à l'autre bout du monde, au Kirghizistan, et aborde les thèmes de la famille, de l'adolescence et de la fragilité. Fragilité d'une mère, cassure dans une cellule familiale, un jeune Samuel, aux idées intactes, critiques et tranchantes, dans une période troublante, celle de l'adolescence, celle de la métamorphose, et qui part à la dérive, un père absent et autoritaire. Quand tout flanche autour d'elle, quand il n'y a plus d'entente ni d'écoute, Sibylle, décide de partir pour mieux continuer, pour se retrouver soi-même, pour redonner un sens à la vie, celle de son fils et la sienne, pour que son fils se recentre sur l'essentiel, les choses simples, «les autres, le respect des autres, écouter les autres, la simplicité de la lenteur, du contact avec la vie , qu'on balance ce putain de monde qui nous sépare les uns des autres et qu'on arrête de prendre pour inéluctable ce qui ne l'était que par notre passivité, notre docilité, notre résignation», réapprendre à partager, à s'émerveiller et trouver un second souffle. Elle va aller jusqu'au bout de ses forces pour que l'amour renaisse, pour que la vie redevienne une saveur, pour toucher du doigt la tendresse, la reconnaissance, écarter une bonne fois pour toutes l'humiliation.
Elle va entreprendre ce projet un peu fou pour sortir son fils de la délinquance, projet que Samuel trouve complètement narcissique et délirant «Elle fait ça pour se donner le beau rôle [...] pour sortir de sa propre merde.», mais dont tout le monde autour d'eux (excepté son père) s'émerveille. 

Sibylle incarne la force et le courage. Elle a un mental d'acier. Son fils et son ex-mari n'en sont pourtant absolument pas convaincus. Pour eux, elle en serait même totalement dépourvue. Ils en dressent un portrait bien sombre, celui d'un être à bout de souffle, fatigué et dépressif. Pourquoi ? Pourquoi une telle haine ? Comment cette haine a pris tant de place dans les relations que Sibylle entretient avec son fils ? Comment ont-ils pu se perdre autant, en arriver à ne plus savoir se parler ? Au fur et à mesure de ce voyage au Kirghizistan, la porte qui cache le monde des secrets, des souvenirs passés va lentement s'entrouvrir, et aidés par la musique que Samuel écoute dans son casque «Être un héros juste pour un jour, être des héros pour toujours» et le carnet de notes de Sibylle, ils vont tous les deux peut-être pouvoir continuer...     

Certaines scènes quasi épiques sont décrites avec un réalisme assourdissant, les rendant époustouflantes. Laurent Mauvignier nous plonge dans le décor, on accompagne les protagonistes, on vit auprès d'eux, on prend les choses en pleine face, et on assiste quasi impuissant à cette confrontation mère-fils, à cette exploration de leurs âmes, et finalement, à leur émancipation à tous les deux. Le rythme est dense, il s'amplifie au fur et à mesure de la lecture pour finir haletant dans les dernières pages.
C'est une très belle et fascinante aventure humaine qui vous attend, une épreuve pour le coeur, tant cette histoire est bouleversante et poignante. J'ai fini les dernières pages en larmes, que dis-je, en sanglots, ébranlée par la beauté de l'écrit, par une réalité forte et d'une violence inouïe, sans demi mesure, touchée au plus profond de moi par cette ode à la vie, à l'amour d'une mère douce et aimante envers son fils. Magnifique ! Ce livre aurait mérité un grand Prix.

Je découvre Laurent Mauvignier avec cette œuvre, et j’ai une envie irrésistible de découvrir son œuvre entière, de lire le monde à travers son écriture...

«Si on a peur des autres, on est foutu. Aller vers les autres, si on ne le fait pas un peu, même un peu, de temps en temps, tu comprends, je crois qu'on peut en crever. Les gens, mais les pays aussi en crèvent, tu comprends, tous, si on croit qu'on n'a pas besoin des autres ou que les autres sont seulement des dangers, alors on est foutu. Aller vers les autres, c'est pas renoncer à soi.»
«On décide de descendre et de rejoindre les paysans qui travaillent plus bas, d'aller vers les fermes, on se le dit en français - un instant le français devient comme un mur épais et puissant pour se protéger des autres, ceux-là qui maintenant parlent entre eux et se mettent à rire d'un rire mauvais et rageur.
[...] il faut qu'ils comprennent ensemble ce qui s'est passé. Comment depuis des mois il s'est détruit, comment ils l'ont détruit à force d'indifférence, ou d'aveuglement, car ils ont été aveugles à tout ce qui n'était pas leur guerre, à tout ce qui n'était pas eux et chacun a été responsable de ce qui arrive ce matin. Samuel a été leur victime collatérale et pas une seule fois il ne s'est plaint de ce qu'il a entendu, les cris, les reproches, les heures de silence résigné de sa mère, la violence de son père [...].
Elle n'a pas le temps de le penser, d'y réfléchir, le corps de son fils, devant elle, elle le voit comme une masse molle et douloureuse. Sa marche agressive, maladroite, à la fois puissante et pourtant complètement désordonnée, comme une machine mal réglée dont elle se surprend parfois à éprouver une sorte de - non, ça ne vas pas jusqu'à la honte, mais une sensation d'embarras, de gêne devant ce corps en pleine puberté, l'adolescence avec sa maladresse et cette raideur un peu idiote, ce corps d'adulte qui veut naître, qui veut s'extraire d'un corps trop étroit.
[...] avait balancé à ses copains tout ce qu'il avait à dire, que le mode de vie rêvé des babas c'est des envolées de mouches à merde au-dessus d'un chiotte en bois au fond du jardin, des fringues moches et sans forme, des cheveux coupés à la serpe, putain de mecs, ces babas...»

Le site de Laurent Mauvignier, c'est par ici.


Dans les écouteurs de Samuel


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