vendredi 25 novembre 2016

Brûlant Secret ***** de Stefan Zweig


Suivi de Conte crépusculaire, La Nuit fantastique, Les deux jumelles
Editions Grasset, Les Cahiers Rouges, avril 2002
245 pages
Traduit de l'allemand par ALZIR HELLA

Quatrième de couverture


Le manège hypocrite des adultes, observé par un enfant qui en perçoit les faux-semblants et dissimule lui-même, sous ses caprices puérils, les premiers tourments de la jalousie amoureuse, tel est le thème de Brûlant Secret, que Stefan Zweig, peintre de moeurs et analyste subtil des consciences, explore dans ses moindres nuances.

Mon avis ★★★★★


Sous le charme, une nouvelle fois, vous vous en doutez. Comment ne pas succomber à une telle force dans l'écriture, subtile, intense, vive et si captivante. C'est en apnée que j'ai parcouru ces quatre nouvelles, plus ou moins courtes, qui gravitent autour des thèmes de la passion amoureuse et de la recherche identitaire, du passage de l'enfance à celui de l'adulte.

Dans Brûlant Secret, un jeune garçon innocent et naïf, pas tout à fait sorti de l'enfance,  va subir de plein fouet le mystère des passions humaines, et sans en être pleinement conscience, il refroidira le plan de séduction entrepris par un jeune baron à l'encontre de sa mère. Il apprendra bien vite ce jeune garçon, car on apprend beaucoup et vite quand on a de la haine. Un monde des adultes vu à hauteur d'enfant...c'est troublant !
«Son visage, non sans beauté, n'était pas encore formé ; la lutte du caractère masculin avec le caractère enfantin paraissait n'être qu'à son début ; tout chez lui n'était encore que comme une pâte que l'on pétrit, sans aucune forme bien nette, sans aucune ligne bien accusée. En outre, il était précisément à cet âge ingrat où les enfants n'ont jamais des vêtements qui leur vont bien, où les manches et les culottes flottent mollement autour des maigres articulations et où d'ailleurs aucune vanité ne les porte à surveiller leur extérieur.»
«Il y avait beaucoup de probabilités pour que son empressement auprès de cette femme ne restât pas vain. Elle était à cette époque décisive de la vie où une femme commence  regretter d'être demeurée fidèle à un époux, qui, en réalité, n'a jamais été aimé, et où le pourpre coucher du soleil de sa beauté lui laisse encore un dernier choix (pressant !) entre la maternité et la féminité. À cette minute de la vie, qui paraissait depuis longtemps déjà avoir été réglée d'une façon définitive, est de nouveau remise en question : pour la dernière fois l'aiguille magnétique de la volonté oscille entre la passion et la résignation à jamais.»
«Pourquoi maman évite-t-elle toujours mon regard, lorsque je le dirige vers elle ? Pourquoi cherchent-ils toujours devant moi à dire des plaisanteries et faire le polichinelle ? Tous deux ne me parlent plus comme ils le faisaient hier et avant-hier ; je pourrais presque dire que leurs visages ne sont plus les mêmes. Maman a aujourd’hui les lèvres toutes rouges ; elle doit se les être rougies, jamais je ne l’avais vue ainsi. Et lui a toujours le front plissé, comme si je l’avais offensé. Je ne leur ai pourtant rien fait ? Je n’ai dit aucune parole qui pût les choquer ? Non, ce n’est pas moi qui peux être la cause de leur changement, car ils sont eux-mêmes, l’un à l’égard de l’autre, tout différents de ce qu’ils étaient. On dirait qu’ils ont projeté une chose qu’ils n’osent pas me confier. Ils ne parlent plus comme hier ; ils ne rient pas ; ils sont gênés, ils cachent un secret qu’ils ne veulent pas me révéler. Un secret qu’il faut que je connaisse. »

Dans Conte crépusculaire, très courte nouvelle, qui en dit pourtant long sur les troubles accompagnant la période de l'adolescence, on suit Bob, un jeune de quinze ans, troublé et dévoré par une passion naissante au caractère très mystérieux. Nous sommes témoins de son éveil aux plaisirs charnels,  aux désirs passionnées, de sa propre découverte... Magistral !
«Les heures semblent être endormies ; la nuit a l'air d'un animal paresseusement couché devant le château : le temps passe avec une lenteur inouïe. Il croit entendre des voix moqueuses chuchoter autour de lui dans le léger bruissement de l'herbe ; ces branches et ces ramures qui s'agitent doucement et jouent avec leur ombre dans le faible scintillement de l'éclairage lui paraissent autant de mains moqueuses. Tous ces bruits sont confus et étranges, plus agaçants que le silence lui-même. Parfois un chien aboie au loin dans la campagne ; parfois une étoile filante raye le ciel et disparaît quelque part derrière le château. Il semble que la nuit s'éclaircit, que l'ombre des arbres s'épaissit au-dessus du chemin et que ces bruissements légers deviennent de plus en plus indistincts. Puis des nuages vagabonds couvrent de nouveau le ciel d'une obscurité opaque et plein de tristesse. La solitude pèse douloureusement sur ce coeur tourmenté.»
«Il est si bon [...] 
d’être là étendu, seul, loin des hommes et du bruit, 
dans une chambre haute et claire, tout près de la cime frémissante 
des arbres, quand on veut penser à celle que l’on aime ; il 
est si agréable de méditer ainsi en toute quiétude, délié de tout 
devoir, de toute obligation, de s’abandonner à rêver doucement 
d’elle, et de vivre en tête à tête avec ces chères images qui 
s’approchent de votre lit quand on ferme un instant les paupières. 
L’amour n’a peut-être pas de plus suaves moments que 
ces rêveries pâles et crépusculaires.»
«Qu’il fait sombre tout à coup dans notre pièce ! Le vent a-t-il ramené la pluie sur la ville ? Non. L’air est calme, dans une lumière argentée, comme il l’est rarement en ces jours d’été. Mais il se fait tard et nous ne nous en étions pas aperçu. Seules les lucarnes des toits d’en face sourient encore d’un faible éclat, au-dessus des crêtes le ciel se couvre déjà d’une brume dorée. Dans une heure il fera nuit. Heure merveilleuse, car rien n’est plus beau à voir que cette couleur qui se ternit et s’assombrit peu à peu. Puis l’obscurité, montant du sol, envahira la pièce, jusqu’au moment où ses flots noirs se rejoindront sans bruit par-dessus les murs et nous emporteront dans leurs ténèbres. À pareil moment, lorsqu’on est assis l’un en face de l’autre et qu’on se regarde sans parler, le visage familier entrant dans l’ombre vous paraît vieilli, étranger, lointain ; il semble qu’on se regarde à distance et par-delà de nombreuses années. Mais tu désires à présent que nous parlions, parce que, dis-tu, ton cœur se serre en écoutant la pendule hacher le temps en mille menus morceaux et que, dans le silence, notre respiration devient bruyante comme celle d’un malade. Tu veux que je te raconte quelque chose. Volontiers. Certes, je ne te parlerai pas de moi, car dans ces villes immenses notre vie est pauvre en aventures ou du moins elle nous paraît telle, parce que nous ne savons pas encore ce qui nous appartient en propre. Mais je vais te conter une histoire qui convient à l’heure présente, laquelle, à vrai dire, n’aime que le silence. Et je voudrais qu’elle eût un peu de cette lumière crépusculaire, chaude, douce, fluide qui s’étend comme un voile sous nos fenêtres.»
La nuit fantastique, un puissant bijou de psychologie. Au cours d’une nuit fantastique, le baron Friedrich Michael von R…,décrit au début comme un homme indifférent au monde, aux autres, aux passions, à la vie, voit le cours de sa vie changer; un événement le surprend et éveille en lui des émotions qui lui étaient jusqu'à là inconnues, des émotions suscitées par les désirs du jeu, de l'érotisme, de rendre les gens heureux et de créer la joie autour de lui. Une nouvelle épatante, passionnante ! 
 «Une fois que quelqu’un s’est trouvé lui-même, il ne peut plus rien perdre dans ce monde. Et dès que quelqu’un a compris l’être humain qu’il y a en lui, il comprend tous les humains.»
«J’éprouvais enfin ce que j’avais cherché pendant toute cette soirée : il y avait là quelqu’un qui se souciait de moi, quelqu’un qui voulait me connaître ; pour la première fois, j’existais pour quelqu’un en ce monde. Et que cet être, parmi les plus reprouvés, qui portait comme une marchandise, à travers les ténèbres, son pauvre corps usé, qui sans même regarder l’acheteur, s’était pressé contre moi, ouvrît ses yeux vers mes yeux en cherchant à découvrir l’être humain qu’il y avait en moi, ne faisant qu’accentuer encore mon ivresse singulière, à la fois clairvoyante et trouble, consciente et plongée dans un engourdissement magique.»
Les deux jumelles, quant à elles, au physique identique, mais avec un besoin (comme souvent chez les jumelles, je sais de quoi je parle ;-) ) de se distinguer l'une de l'autre, vont s'enflammer dans une rivalité intense et sans limite et se livrer une guerre psychologique absolument impitoyable. Mais tout ne les oppose pas tout à fait finalement !
Troublante nouvelle...
Combien de fois déjà l’avait écœurée la sensualité bestiale des hommes ! Elle s’était promis de lui résister désormais et de mener une existence simple et honnête ! Mais elle sentait bien que toute défense était inutile ! Elle félicitait sa sœur d’avoir l’âme forte et de n’avoir pas succombé, comme elle, aux tentations de la chair !

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