dimanche 27 novembre 2016

Vera Kaplan**** de Laurent Sagalovitsch


Éditions Buchet.Chastel, août 2016
152 pages

Quatrième de couverture


À Tel-Aviv, un homme apprend par courrier le suicide de sa grand-mère, Vera Kaplan, dont il ignorait l’existence. La lettre, venue d’Allemagne, est accompagnée de l’ultime témoignage de la défunte et d’un terrifiant manuscrit : son journal de guerre, celui d’une jeune Juive berlinoise qui, d’abord pour sauver ses parents puis simplement pour rester en vie, en est venue à commettre l’impensable – dénoncer d’autres Juifs, par centaines.
Dans un récit sans complaisance, librement inspiré du destin véritable de Stella Goldschlag, Laurent Sagalovitsch dresse le portrait d’une victime monstrueuse dévorée par une pulsion de vie inhumaine.
Laurent Sagalovitsch est né en 1967.

«Elle a voulu vivre. Vivre malgré tout. Vivre dans l’ombre de la mort de ses amis. Vivre en trahissant la confiance de ceux dont le seul crime était de lui ressembler.»

Mon avis  ★★★★☆


Des morts contre sa vie, Vera Kaplan (Stella Goldschlag) a fait son choix, celui de survivre, mais à quel prix justement ? Ce roman est dérangeant, troublant, terrifiant certes, et à la fois très beau. Il fait partie de ces livres importants, qu'il faut lire ...
Le style d'écriture est fluide, accessible, ce qui allège un tant soit peu l'âpreté de cette histoire.
Victime ou bourreau ?  La situation était tellement hors norme, alors comment peut-on se permettre de la juger ? Elle a dû faire des choix pour sauver ses parents dans un premier temps, puis elle-même. D'ailleurs, Laurent Sagalovitsch ne porte pas de jugement, il décortique, détaille les faits qui ont poussé Vera Kaplan à la trahison, explique sobrement le processus qui l'a conduite à passer du côté obscure, du côté de l'impensable, à vendre son âme au diable et à être finalement broyée par l'histoire.
C'est une histoire poignante, difficile à entendre parfois, car elle touche à la morale, elle ébranle l'histoire de l'humanité. Qu'aurions-nous fait à sa place ? J'aime beaucoup la conclusion du narrateur, le petit-fils de Vera, qui intervient en début et en fin du roman et qui conclut par ces mots :
" Née à une autre époque, à une tout autre époque, son existence se serait écoulée dans la banalité d'une vie normale - mais elle est née à Berlin en 1922. Dès le départ, elle n'avait aucune chance pour que son histoire se termine bien."
La présence de ce petit-fils amène d'autres réflexions : comment transmettre sa propre histoire à son enfant ? Lui transmettre ou garder le secret ? Le poids de ce secret n'est-il pas trop lourd à porter ? Nous apprenons que Vera Kaplan a été séparée de sa fille alors qu'elle n'était encore qu'un bébé et qu'elle ne l'a jamais revue. Sa fille a vraisemblablement refusé tout contact avec elle; elle a vécu dans le déni absolu de l'origine de son existence. 
Seules quelques pages nous confrontent à ces thèmes, elles suffisent pourtant à nous déranger, à nous interpeller. 
C'est toute la force de ce court récit, écrit sans complaisance aucune : nous pousser à la réflexion, à nous faire notre propre jugement, si tant est qu'il nous faut en faire un, nous rappeler aussi, que, sans avoir vécu une période aussi horrible, nous ne pouvons pas certifier de ce que nous aurions fait...
Bravo Laurent Sagalovitsch ! 
«J'ai besoin de me raccrocher à cette idée que tôt ou tard ce cahier se retrouvera entre tes mains à toi, [...] c'est pour toi que je me retrouve à cette heure en train d'écrire ces lignes afin d'essayer une dernière fois de t'expliquer pour quelle raison je me suis conduite de la façon dont je me suis conduite et comment malgré tout j'ai pu continuer à vivre avec le souvenir de ces années-là.
Fixer les méandres de cette vie si compliquée que tu n'as jamais pu comprendre.
Que personne n'a jamais compris.
Que personne ne pouvait comprendre.
Que personne ne comprendra jamais.
Personne, je vous le dis en face, personne, absolument personne, tant il est vrai que c'est seulement une fois que nous nous retrouvons confrontés de plain-pied à une situation à laquelle nous n'avons jamais été préparés que nous pouvons juger de la qualité de notre nature profonde, oui, c'est seulement à cet instant où le sang rouge et noir de l'Histoire charrie son fleuve putride et pestilentiel que nous savons enfin qui nous sommes vraiment, un lâche ou un héros, un oisillon ou un aigle, un traître ou un homme de bien, mais, puisque c'est ma charge et mon devoir de dire en cette enceinte où se situe le bien et où se loge le mal, je ne peux que répéter qu'il est du devoir sacré de l'homme par-delà toute éternité de s'effacer de la surface de la terre quand sa propre survie passe par le massacre collectif de malheureux innocents. Vera Kaplan n'a pas su, n'a pas pu, n'a pas voulu emprunter cette voie. Elle a voulu vivre. Vivre malgré tout. Vivre dans l'ombre de la mort de ses amis [...]
Sur le chemin du retour, Samuel, mon fils aîné alors âgé de onze ans, m'a demandé si ce qu'avait fait Vera était mal. J'ai réfléchi et j'ai fini par lui répondre que je ne savais pas. Aujourd'hui encore, je ne sais pas.»

Stella Goldschlag

Le blog de Laurent Sagalovitsch, c'est par ici.

La page Facebook de Laurent Sagalovitsch, c'est par ici.


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