mardi 13 avril 2021

Ours ★★★☆☆ de Philippe Morvan

Au contact de la guerre, il a foulé les territoires de la cruauté, du morbide, de la malsanité, de la démence. Des actes inhumains, perpétrés sciemment pourtant par des humains. « L'homme, seul, pouvait s'abaisser ainsi. » Gabriel Morange s'est forgé une carapace. Mais s'endurcir devant l'horreur, c'est aussi gage de meurtrissures, de cauchemars, de traumatismes.

La violence gratuite, haineuse, incontrôlée, dominante et jouissive...il y a des condamnations qui se sont embourbées dans les prétextes de guerres. Des guerres déclenchées par avidité, par l'envie irrésistible et meurtrière de dominer, d'anéantir. Nous honorons des héros historiques, des stratèges grandioses. C'est aussi leur soif de chair et de sang que nous vénérons, peut-être...
« L'engagement fut rapide et d'une extrême brutalité. Le corps expéditionnaire prit les habitants par surprise, aux premières heures du jour. Ce fut un massacre. Ni l'âge ni le sexe des victimes n'arrêtèrent le bras vengeur des soldats. Un nombre inconcevable d'enfants furent passés au fil du sabre. Des viols furent perpétrés. La nouvelle carte de cette razzia se répandit en Kabylie et, au-delà, dans l'Algérie toute entière. L'armée française venait de dévoiler son vrai visage le plus impitoyable, celui d'un prédateur sans merci. »
De la Kabylie à Annam, puis en Amérique sur les territoires des Navajos et en terres Apaches, Philippe Morvan nous embarque sur les traces de l'un de ses ancêtres et nous fait passer par d'intenses émotions et surgir des sentiments de peur, de colère, de rage, de tristesse et de joie. « Aucun être humain ne peut vivre sans sa liberté. » Et cette dernière ne devrait pas avoir de prix.

Ours est un beau témoignage empreint d'amour et d'une belle humanité, il est un bel hommage aux peuples opprimés. 
Ours est un homme bon. Un messager de tous les peuples martyrs...

« Il ferme les yeux et, à cet instant, au crépuscule de son existence, un torrent de souvenirs déferle en lui. Des tranches de vie, éphémères, s'incrustent une dernière fois de ses pensées, avant de se perdre dans les méandres de l'oubli.
Au moment où la mort pointe le bout de son nez rongé, tout ressurgit, tout remonte à la surface.
Comme les débris d'un naufrage. »

« Le silence, ça n'était rien d'autre que du mépris. Et même la pire des méchancetés, la plus vile saloperie, aurait été préférable à ce mépris-là. »

« L'existence était déjà rude en période de paix, alors, quand un conflit se dessinait à l'horizon - et les monarques d'Europe ne manquaient pas d'imagination pour en créer à l'envi - elle devenait vite insupportable. »

« Une vengeance qui, comme toutes les vengeances, fit la part belle à l'émotion, et au comportement grégaire. Quand il agissait en meute, l'homme n'avait plus rien de rationnel. Et aucun autre animal sur terre ne lui arrivait à la cheville en matière de cruauté. »

« L'engagement fut rapide et d'une extrême brutalité. Le corps expéditionnaire prit les habitants par surprise, aux premières heures du jour. Ce fut un massacre. Ni l'âge ni le sexe des victimes n'arrêtèrent le bras vengeur des soldats. Un nombre inconcevable d'enfants furent passés au fil du sabre. Des viols furent perpétrés. La nouvelle carte de cette razzia se répandit en Kabylie et, au-delà, dans l'Algérie toute entière. L'armée française venait de dévoiler son vrai visage le plus impitoyable, celui d'un prédateur sans merci. »
« Il se demandait même si cette prétendument nécessaire mission de civilisation des peuples ne cachait pas en réalité d'autres buts, beaucoup moins nobles ? Comme piller les richesses d'un pays... Et aussi, si le commandement militaire y croyait vraiment, lui, à ces théories ? Si les hommes de science n'avaient pas inventé tout ça afin de manipuler les pécores ? Mais alors, de quels autres mensonges leurs maîtres étaient-ils capables ? Cela lui donnait le vertige, quand il y pensait. »

« La guerre avait fait de lui un homme vide. »

« J'ai vu de quoi était capable l'homme blanc, en Algérie, en Annam, mais ici, c'est encore pire. On voudrait anéantir ce peuple, qu'on ne s'y prendrait pas autrement... Mais j'ai du mal à imaginer qu'on puisse sciemment envisager une telle ignominie. Je me refuse à le croire. »

« Certains soirs, au cours de longues discussions, alors qu'Ahiga dormait lovée contre son chien, elle lui avait expliqué comment l'Indien emprunte à la nature avec respect, n'en retirant que l'indispensable. Pourquoi il faut remercier la Terre Mère après une chasse réussie, ou une cueillette de baies abondante. Elle avait aussi parlé des Blancs, ses semblables, et le "padre" avait eu honte.
- L'homme blanc ne traite pas notre Mère avec respect. Il tue, il pille, il brûle. Il croit pouvoir dominer notre Mère. Mais il se trompe, on ne peut pas dominer celle qui nous a créés. Un jour, notre Terre Mère le lui fera payer. »

«- Je ne suis pas votre ennemi !
Pour la première fois l'homme laissa entrevoir l'ébauche d'une émotion, il sourit.
- Ah non ? Et quoi d'autre ? Vous n'êtes que ce que vous semblez être. Croyez-vous qu'un seul des vôtres me considérera un jour autrement que comme un ennemi ? Un Peau-Rouge sanguinaire, tout juste bon à être abattu tel un vulgaire coyote dans un poulailler ? Et si moi, guerrier Nde, je suis votre ennemi, comment dois-je vous appeler, vous, qui avez envahi mon pays, m'avez imposé votre langue, votre religion, vos lois, volé mes terres de chasse, massacré mes enfants ? [...] On croit toujours être différent des autres, mais quand on fait partie d'un tout, on est pour le moins complice...
[...]
- La paix ? Je n'y crois plus. L'homme blanc n'a aucune parole, et il n'a qu'un seul but : exterminer nos tribus qui empiètent sur ce qu'il croit être son pays, mais qui est et restera le nôtre à jamais. Alors, ils nous enferment dans ses réserves, comme des animaux, parqués comme les moutons des Navajos. Mais peut-on empêcher un aigle de vouloir voler ? Ils peuvent nous enchaîner, nous couper les ailes, ils ne réussiront jamais à nous arracher notre soif de liberté. »

« Les grands bonheurs étaient faits de petites choses, anodines, mais qui mises bout à bout en constituaient la substance même. Comme ces événements, souvent insignifiants, qui formaient patiemment l'ossature d'une vie et, ensemble, lui donnaient de la chair, toute son épaisseur, la bienveillance texture qui possédait le don de, parfois, rendre les gens heureux. »

Quatrième de couverture


Éditions Calmann-Levy, octobre 2018
367 pages

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