samedi 17 avril 2021

Change ton monde ★★★★★ de Cédric Herrou

Une matinée lecture, hier, troublante d'émotions
Le témoignage de Cédric Herrou est sans concession, il est vrai. Il dit l'inhumanité de l’État, il dénonce, accable les représentants de l’État qui bafouent le principe de fraternité. 

Ce témoignage puissant et passionnant m'a complètement retournée. Et en pianotant ces quelques mots, les larmes me montent sans que je sache tout à fait l'expliquer. La honte, la rage, le désespoir, la perte de confiance en une politique qui dessert l'humain, la perte d'attachement à notre société...et à la fois l'envie d'y croire. On peut changer le monde avec des fleurs, chantaient Souchon et Voulzy; avec des gens comme Cédric Herrou et tant d'autres qui se battent au quotidien pour le respect de l'être humain, qui ont de belles idées, désintéressées, il est bon de se projeter vers un avenir meilleur pour nous les Hommes, pour notre planète, de croire que c'est possible.

Les migrants ont afflué en masse dans la vallée de la Roya avant que l'Europe décide que le combat face à l'"invasion" devait être marin. Cédric Herrou, aidé et accompagné par de belles âmes a tout entrepris, jusqu'à être privé lui-même de sa liberté, pour venir en aide à ces enfants, femmes et hommes démunis, fuyant des conditions de vie inhumaines et/ou la guerre et demandant l'asile. « Dans cette situation, être secouru n'est plus une option, c'est un droit absolu, comme le droit à la liberté, à la fraternité, à la vie. Est-ce si difficile à comprendre ? », écrit J.M.G. Le Clézio en préface.
"Liberté, Egalité, Fraternité", illusoire devise française. 

Un témoignage immense empreint d'une belle humanité. Un élan d'une grande générosité qui n'est pas une simple contestation, Cédric Herrou a suppléé aux manquement de l'Etat et propose des solutions. 
Chapeau bas Mr Herrou. 
Merci à vous. Merci aussi à ceux qui œuvrent à vos côtés, ou ailleurs dans un même but. 
Puissent vos mots se répandre ardemment, semer l'envie de changement, vos actions être relayées, prises en exemple, démultipliées, imitées, puissent les hommes réaliser qu'ils sont tous frères  pour que le monde et le système enfin changent, pour que tous les Hommes trouvent leur place, que la nature soit respectée, que la justice soit faite. L'intelligence ou la réussite ne se mesurent pas aux diplômes, ni aux richesses accumulées, à la Rolex à cinquante ans... Elle est autre. Elle est fraternelle.
Un livre à lire, à offrir, à partager.
« Dans ce monde ruiné par la quête du profit, par l'indifférence et la haine, Cédric Herrou est notre héros. » J.M.G Le Clézio
Régulièrement, ce livre devrait être lu à l'Assemblée, au Sénat, aux conseils municipaux, généraux, au conseil de l'Europe, à l'ENA...
Les Liens qui Libèrent, Babelio, Cédric Herrou, je vous remercie infiniment pour cette ardente lecture, un beau cadeau. 

«[...] à l'adolescence, la réalité du monde m'a éclaté aux yeux, ingérable. Afin de ne pas sombrer dans la colère, j'ai choisi l'exil des montagnes. M'éloigner du monde des « autres », celui des insensibles et des blasés, qui peuvent vivre sans états d'âme près de la misère, qui s'en protègent en la stigmatisant ou en la méprisant.
Mon refuge, la Roya, m'a coupé du monde. Pour vivre libre et heureux, il fallait vivre caché, loin de la réalité. »

« À l'école, on n'apprend pas l'intuition, on la détruit. »

« En temps normal, j'étais un solitaire sur son pan de montagne. C'était terminé, mon silence m'avait rendu complice trop longtemps. »

« À cette époque, j'ignorais tout du droit d'asile, de l’Érythrée ou encore du Soudan. La Libye, je connaissais grâce à Sarkozy et à son cher ami Kadhafi, mais sans plus. Je ne suis pas historien ni géographe, encore moins politicien, mais je vivais dans cette vallée depuis treize ans, et voir ces frontières renaître de leurs cendres m'interrogeait. Comment la libre circulation des personnes pouvait-elle être ainsi entravée dans l'espace Schengen ? Pourquoi la France restait-elle insensible au sort de ces gens ? La gestion étatique de cette situation me semblait irresponsable. Comment pouvaient-ils, depuis Paris, décider que la Roya serait sacrifiée, et ces migrants abandonnés ? »

« D'une certaine façon, malgré mon côté anar, je faisais confiance à l’État, comme beaucoup. Mais il a instauré un jeu de l'oie cynique qui oblige les gens à se mettre en danger. La règle ? Il faut souffrir pour entrer en France, voire risquer la mort. Face à ce calcul morbide, on doit désobéir, par respect pour la vie. Cela peut effrayer quand on ne connaît pas les exilés, et les voir sur les rochers à Menton m'a inquiété. Face à ce genre de situation, plusieurs choix s'offrent à nous. On milite et on se sent mieux ; on met des œillères, comme j'ai pu le faire au début ; ou on les rejette comme des ennemis, des envahisseurs, des dangers. »

« Comment expliquer à un enfant que sa couleur de peau doit être dissimulée ? Que le pays dans lequel il grandira et construira ses amours, sa profession, sa famille, n'a pas voulu de lui à cause de sa couleur de peau ? Dans la Roya, l’État terrorise. »

« La fermeture de la frontière sert surtout un objectif de communication dans la « lutte contre l'immigration illégale ». Le préfet clame régulièrement qu'il renvoie en Italie des milliers de personnes, mais son décompte est faux : il « éloigne » plusieurs fois les mêmes migrants, qui retentent leur chance jusqu'à ce qu'ils réussissent à passer. Au lieu d'affaiblir l'extrême droite, comme le prétend le gouvernement, cette politique la renforce. En gonflant les chiffres, elle fait croire qu'il y a une « crise des migrants », alors qu'il s'agit d'une crise de l'accueil : on ne veut pas l'organiser, bien que le droit international et les conventions nous y obligent. »

« Quand on impose des barrières artificielles censées enfermer des gens sans argent, on crée un système qui coûte beaucoup plus cher à la société : le trafic. On diabolise les passeurs, mais je le répète : si on enlève les flics, il n'y a plus de passeurs. Comme pour les drogues, la pénalisation crée le trafic. »

« Selon certaines évaluations, la traite des êtres humains génère à l'échelle mondiale vingt-sept milliards d'euros par an. Mais, dans la petite ville de Vintimille, la police n'a jamais coincé les têtes de réseau. Et mon voisin de cellule finit en prison pendant que son patron profite tranquillement des dizaines, voire des centaines de milliers d'euros gagnés. »

« Avant cette première expérience, j'ignorais l'extrême violence de la garde à vue. Depuis, j'en ai connu onze - le compteur tourne toujours - et j'ai appris à quoi elle sert : à humilier. On subit une torture psychologique, enfermé dans une cellule couverte de merde, de pisse et de gerbe, avec les odeurs. La lumière reste allumée nuit et jour, impossible de savoir l'heure qu'il est. Il n'y a pas de couverture, on me retire mes lunettes, je n'y vois rien. Pour sortir, on me menotte dans le dos tel un animal enragé. Le but consiste à briser l'homme afin qu'il avoue même des faits imaginaires. Et ça fonctionne : beaucoup reconnaissent n'importe quoi juste pour que l'épreuve cesse. »

« À force d'être stigmatisé comme voleur ou violent, on le devient facilement. À rebours de leurs parents, ultra-reconnaissants d'avoir été acceptés par la France, les enfants avaient la rage, et ils avaient raison. »

« Dans la Roya, la délation était devenue un sport local. La population était en masse du côté de la police. Je sentais sur moi des regards emplis de haine, et les discours racistes se concrétisaient par des actes d’État. Les policiers ne contrôlaient que les Noirs, ils ne cherchaient ni armes, ni explosifs. Les Noirs, toujours les Noirs. La chasse aux Noirs était ouverte. Jamais je ne m'habituerais à cette traque frénétique. Comment détester autant une couleur de peau, jusqu'à ne plus ressentir la détresse d'un enfant ? Décidément, j'avais honte d'être de ce monde. J'aurais voulu crever pour ne plus voir ça. »

« La droite extrême adore les étrangers, c'est son fonds de commerce. Il suffit d'examiner la communication d’Éric Ciotti : une farandole de faits divers perpétrés dans les quartiers ou zones populaires par des personnes a priori d'origine étrangère (en réalité souvent françaises). Mais est-il directement confronté aux étranges ? Non. Il existe, car ils existent. Il en tire un commerce électoraliste, le commerce de la peur. »

« L'envoyé de la préfecture, qui semble tout droit sorti de la pouponnière, est une vraie tête à claques. Sans émotion, un disque dur, une machine formée à l'ENA, prête à exécuter un programme de manière mécanique et efficace. Pas d'états d'âme. Quelques mois plus tard, François-Xavier Lauch deviendra chef de cabinet d'Emmanuel Macron à l’Élysée, supérieur hiérarchique d'Alexandre Benalla, puis sera promu Préfet - l'un des plus jeunes préfets de l'histoire...
Je leur explique comment les procédures illégales de l’État nous poussent à certaines actions, comme cette occupation. Puis, profitant de l'accès direct à de hauts responsables, j'aligne les questions. Comment procéder quand les gamins et adultes arrivent chez moi ? Comment protéger leur intégrité physique et morale ? Qui considérera leur demande d'asile, qui obligera le département à prendre en charge les mineurs non accompagnés ? »

« Comment un être humain peut-il être condamné pour avoir aidé un autre être humain ? [...] Les citoyens qui portaient secours à leurs prochains étaient considérés comme des ennemis de la République, des fauteurs de trouble. Au nom d'une sécurité fantasmée. Nous, citoyens de la frontière, devions sacrifier notre bout de territoire pour que le reste du pays ignore la réalité. pour que les misères, dictatures et la guerre ne résonnent dans les salons que via la radio ou la télé. »

« Un gendarme présenta ses excuses au machiniste pour le retard.
- Pas de problème, je comprends, répondit celui-ci.
Cela eut le don de m'agacer.
- Ah bon ? T'as compris quoi, en fait ? Que c'était « normal » de bloquer un train pendant une heure pour embarquer trois innocents au commissariat, les priver de leurs droits abusivement ? Faudrait m'expliquer, car nous, on n'a pas compris ! »

« Mon histoire était vendeuse : le petit éleveur de poules face au rouleau compresseur de l’État et de la justice, David contre Goliath, un cliché. J'étais devenu un produit, une prostituée qui se vend corps et âme. Les médias adorent le sensationnel, les arrestations, les gardes à vue, les procès. J'étais acteur des fantasmes de mes « détracteurs », pour qui la haine de l'étranger constitue un fonds de commerce. Ils voient en moi un immigrationniste, un fabricant  de délinquants, un soutien des terroristes et un fervent adepte du « grand remplacement » - cette théorie fumeuse selon laquelle les populations « historiques » d'Europe (blanches et chrétiennes évidemment) sont en train d'être scandaleusement évincées par des envahisseurs venus d'Afrique (noirs et musulmans, bien sûr). »

« Je ne peux que préconiser la décence dans la gestion migratoire, afin que les personnes soient considérées comme nos égaux et avec humanité. Je considère que toute personne sans domicile a le droit de loger dans des bâtiments désaffectés de l’État ou des collectivités locales. Il faut respecter la convention de Genève prévoyant l'accueil des réfugiés, proscrire le racisme politique et étatique pour que les personnes en migration ne soient pas un outil à but électoraliste. »

« Le racisme est devenu culturel à Nice, alors même que, entre la place Masséna et la promenade des Anglais, les langues se mélangent dans l'indifférence la plus générale : russe, anglais, italien, danois, allemand, japonais... À Nice, l'étranger est accepté tant qu'il est opulent et qu'il consomme. »

« L'humain le consterne souvent, si moche et si inadapté à notre belle planète. petit, j'écoutais mes cousins chrétiens qui s'efforçaient de me convertir : « Dieu est Amour, il a créé l'Homme à son image... » L'homme est menteur, violent, guerrier, matérialiste et égoïste. Je préfère les chats ou les chiens, même si, à force de côtoyer l'homme, ils finissent par lui ressembler. »

« L'Europe préfère la mort à l'accueil. »

« Depuis que des hommes comme Ismaël me content les affres de leur traversée, toi, ma mer Méditerranée, tu prends le sale goût du sang, de la terreur et du malheur. Tes vagues ne me bercent plus sans que je songe aux dizaines de milliers de coeurs qui s'y sont éteints. Te voilà suspectée de crimes contre l'humanité, mais je défends ton innocence : tu n'es ni complice, ni coupable, juste témoin de l'indifférence. Ton rôle est de nourrir les hommes, pas de les avaler. Les responsables sont ceux qui pourchassent la « mauvaise » couleur de peau. »

« Une devise implique aussi des devoirs. »

« Que de fausses routes, alors que les choses sont si claires ! L'accueil repose sur le pragmatisme, pas sur la bien-pensance ou l'idéologie. Quant aux frontières, je ne souhaite pas les dynamiter, juste questionner leur sens. Si elles protègent les personnes et les droits sociaux, j'y suis favorable. Si elles blessent la dignité humaine, je les combats. »

« Et si l'on politisait la consommation pour décider qui doit prospérer ? Si l'on instillait l'envie de reprendre ces petits commerces fermés et ces exploitations agricoles abandonnées ? Je rêve du jour où nous acterons ce bouleversement, non pas à l'aide de beaux discours, mais en boycottant ceux qui nous méprisent et nous précarisent. 
Je ne veux pas être un outil qui colmate sans remettre en question ceux qui ébrèchent, je veux être révolutionnaire. Il est urgent de choisir le monde que nous désirons, de recréer des structures à taille humaine, de développer le local. 
Depuis de décennies, les scientifiques alertent sur la déforestation ou l'agriculture intensive ; nous n'écoutons pas et continuons de rouler en SUV, climatisation à fond, de décoller pour un week-end à Barcelone ou à Marrakech, d'acheter des denrées acheminées depuis l'autre bout de la planète. 
Nous asservissons la terre et les hommes, nous insultons ce monde avec arrogance. Trop facile de critiquer les prédateurs, ces 2% d'individus qui détiennent 50% des richesses. Nous les avons encouragés avec notre argent, notre unique pouvoir. Continuer à le leur donner ne sert qu'à les flatter. »

 Quatrième de couverture

« J’étais perché sur ma montagne, avec mes poules et mes oliviers, quand le monde est subitement venu à moi. Des ombres remontaient à pied ma vallée de la Roya, entre l’Italie et la France, risquant leur vie. Au début, je détournais le regard. Puis, un jour, j’ai recueilli une famille, et ces ombres sont peu à peu devenues ma lumière. Elles fuyaient la guerre, la misère, la dictature, avaient croisé la mort dans le désert en Libye, échappé à la noyade en Méditerranée. De leur pas si déterminé, elles me questionnaient : faut-il rejeter l’autre parce qu’il est différent ?

À partir de 2016, j’ai accueilli des milliers d’exilés. J’ai aidé ces voyageurs de l’ombre à poursuivre leur chemin et à obtenir des droits, mais je n’avais pas anticipé la violence d’État qui me frapperait en représailles. Notre action ne faisait pourtant que pallier ses renoncements.

J’ai subi des gardes à vue, des procès, des perquisitions, des saisies. Le plus souvent, l’État était en tort et fut condamné. Des centaines de fois. Jusqu’à ce que le Conseil constitutionnel consacre le principe de fraternité, un progrès capital. Ces années ont changé ma vie. Citoyen lambda éloigné du militantisme, je ne suis pas un héros, juste un Herrou têtu et décidé, sans leçons à donner, à part celle-ci : avant de changer le monde, chaque citoyen a le pouvoir de changer le sien. »

Cédric Herrou est un agriculteur originaire de la région niçoise. En 2016, il commence à venir en aide à des milliers d’exilés franchissant la frontière franco-italienne, à quelques kilomètres de chez lui, transformant sa ferme en un lieu d’accueil et d’accès à la demande d’asile. Son combat, largement médiatisé, lui a valu quantité d’arrestations et de procès, redonnant une actualité à la question du « délit de solidarité ». Il a créé en juillet 2019 la communauté Emmaüs Roya, première communauté paysanne du mouvement Emmaüs.

Éditions Les liens qui Libèrent, octobre 2020 
264 pages

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