lundi 5 avril 2021

Les Lettres d'Esther ★★★★☆ de Cécile Pivot

Prendre le temps...d'écrire. 
Prendre le temps de dire. 
Prendre le temps d'attendre que la lettre voyage, que la réponse se forme, et qu'elle voyage à son tour. 
Prendre le temps. 
Il est où ce temps où nous prenions le temps ? Où nous étions patients ?

Merci Cécile Pivot pour ce moment suspendu, cette intrusion dans ces tranches de vie qui attendent, qui souffrent, qui pleurent, qui ne savent pas quoi faire du chagrin, qui peinent, qui étreignent, qui aiment ... et qui nous parlent. 
Le deuil qui éloigne, la dépression qui délite l'amour, qui fait peur, l'argent que l'on amasse et qui nous fait oublier l'essentiel, vivre et aimer, le temps qui passe et que l'on ne rattrape plus mais qui se savoure encore malgré tout, malgré la solitude.

J'ai aimé ces pages, ces échanges, qui m'ont mis les larmes à l'oeil, qui m'ont rappelé le temps d'avant, qui raccrochent à la vie, ordinaire, celle baignée d'amour, celle qui nous capte, nous émeut. Celle à saisir pleinement. 

Yves Granonio de la Librairie du Château de Brie-Comte-Robert a une nouvelle fois frappé fort. Un conseil lecture qui date certes, mais qui a fait mouche ! Merci Yves !

« « Contre quoi vous défendez-vous ? »  [...] J'aime cette question, parce que je suis convaincue que nous nous défendons tous contre quelque chose. Et aussi parce qu'elle laisse une grande liberté à celui qui répond. Il peut être évasif, avancer un lieu commun ou, au contraire, dévoiler une part plus intime de ce qu'il est. »

« Nous ne nous écrivons plus de lettres. Nous considérons qu'elles nous font perdre du temps et nous privent de l'image et du son. Pourtant, je savais mieux que quiconque, pour avoir correspondu avec mon père pendant vingt-deux ans, que l'on ne dit pas les mêmes choses à l'écrit et à l'oral. Nous usons d'autres mots et expressions, soignons notre style. Nos pensées empruntent des chemins différents, plus difficiles d'accès, plus tortueux, plus imprévisibles. Plus exaltants, aussi. Nous nous livrons, nous exposons, prenons des risques. Écrire une lettre, la poster, attendre une réponse en retour donne une autre valeur aux jours, un poids plus conséquent, me semble-t-il, au message dans l'enveloppe. Il prend son temps et trace sa route. »

« Dans un mail, nous parons au plus pressé, ne nous préoccupons pas de style. Notre graphie dit aussi des choses de nous. Tout comme notre papier à lettres. Ce que je préfère dans la correspondance écrite, c'est l'idée que le temps prend son temps. Que la lettre voyage jusqu'à l'autre. Et les questions que nous posons à son sujet. Quand la lira-t-il ? Quand nous répondra-t-il ? Est-ce une belle lettre ? L'ai-je convaincu ? Ai-je employé les mots qu'il faut ? [...] « Éloge de la patience et de la lenteur » »
« Tous autant que nous sommes, nous bâtissons notre vie d'adulte sur notre enfance. Elle est plus ou moins solide, stable, fiable, mais dit beaucoup de nos peurs, de nos incapacités, de nos enthousiasmes et du feu qui nous anime. »

« Pourquoi avons-nous peur de nous retrouver face à nous-mêmes ? Nous refusons d'être confrontés au vide, à l'inaction, aux questions sans réponse. Nous devons coûte que coûte avoir un projet. »

« C'est peut-être à cause de mon « passé épistolaire » que j'ai du mal avec les mails, les textos ou les réseaux sociaux. Sur Instagram, où l'on partage photos et vidéos, pas besoin de phrases, ou si peu, pour exposer son ego. Décors de rêve, visages souriants, corps bronzés, chats pitres, plats appétissants ... Au mieux, on ajoute une légende, histoire de faire rire. Cette surenchère dans le bonheur dégoulinant et factice, ce narcissisme assumé, revendiqué, me heurtent. WhatsApp ne vaut pas mieux. On ne peut plus assister à un dîner, à une fête, partir en week-end ou en voyage sans créer un groupe, sans se tenir collectivement informés de nos moindres faits et gestes, avec photos et commentaires à l'appui, affligeants la plupart du temps. Que signifie cette impossibilité de se contenter du moment présent et de le laisser partir ? Pourquoi ne sait-on plus apprécier les choses et les événements pour ce qu'ils sont ? Notre jardin est en friche. »

« Dans une de ses lettres, il écrivait que débarrasser la chambre de son frère mort avait été une épreuve plus douloureuse encore que l'enterrement. C'était une vie qui disparaissait en quelques heures, qu'on enfouissait dans des cartons, qu'on refermait avec du gros scotch. Je comprenais mieux ce qu'il avait ressenti, cette fulgurance qu'on oublie vite, sauf à se flinguer : l'insignifiance de nos vies. Et la vanité de l'homme, qui croit qu'elles ont de l'importance. »

Quatrième de couverture

"Cet atelier était leur bouée de sauvetage. Il allait les sauver de l’incompréhension d’un deuil qu’ils ne faisaient pas, d’une vie à l’arrêt, d’un amour mis à mal. Quand j’en ai pris conscience, il était trop tard, j’étais déjà plongée dans l’intimité et l’histoire de chacun d’eux."

En souvenir de son père, Esther, une libraire du nord de la France, ouvre un atelier d’écriture épistolaire. Ses cinq élèves composent un équipage hétéroclite :
une vieille dame isolée, un couple confronté à une sévère dépression post-partum, un homme d’affaires en quête de sens et un adolescent perdu.
À travers leurs lettres, des liens se nouent, des coeurs s’ouvrent. L’exercice littéraire se transforme peu à peu en une leçon de vie dont tous les participants
sortiront transformés.
Roman initiatique, pétri de tendresse et d’humanité, ces Lettres sont un éloge de la lenteur, une ode au pouvoir des mots.


Cécile Pivot est journaliste. Elle a déjà publié Comme d’habitude (Calmann-Lévy, 2017) et Lire ! (Flammarion, 2018). Battements de coeur est son premier roman (Calmann-Lévy, 2019) a été 

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