mardi 6 avril 2021

Les trois lumières ★★★★☆ de Claire Keegan

Une petite fille découvre la vie à la campagne, une vie douce, une vie cadencée par le rythme de la ferme avec ses vêlages, ses récoltes, sa bonne et réconfortante cuisine du terroir, son eau du puits dont on remplit les seaux. Elle y découvre la bienveillance, elle y est choyée, aimée, protégée. Et elle nous raconte sa perception du monde des adultes. 

L'auteure effleure, suggère, caresse de ses mots les sentiments pour qu'ils éclatent sous nos yeux et dans nos cœurs, une fois la dernière page tournée.
Tout en finesse et avec beaucoup de pudeur, Claire Keegan écrit les souffrances qui naissent d'une perte, de l'absence, celles  inhérentes à l'alcoolisme. 
Peu de pages, beaucoup de silences et ces trois lumières au bout du chemin. 

"Ce genre de petites choses" m'avait beaucoup touchée, "Les trois lumières" m'ont éblouie. 
Go raibh maith agat Claire Keegan.
« J'ai l'impression que mon coeur est entre mes mains plus que dans ma poitrine, et que je le transporte à toute vitesse, comme si j'étais devenue la messagère de ce qui se passe à l'intérieur de moi. »

« Ils restent immobiles un moment à regarder la cour, et les voilà qui parlent de la pluie : la pluie manque, les champs ont besoin de pluie, le prêtre de Kilmuckridge a prié pour la pluie ce matin même, on n’a jamais connu un été pareil. Il y a une pause pendant laquelle mon père crache puis la conversation s’oriente vers le prix du bétail, la Communauté européenne, les montagnes de beurre, le coût de la chaux et des bains traitants pour les moutons. C’est une chose dont j’ai l’habitude, cette manière qu'ont les hommes de ne pas parler : ils aiment détacher une motte de terre d’un coup de talon dans l’herbe, donner une tape sur le capot d’une voiture avant qu'elle démarre, cracher, s’asseoir les jambes bien écartées, comme si ça leur était égal. »

« - [...] il n'y a pas de secrets dans cette maison.
- Là où il y a un secret, dit-elle, il y a de la honte, et nous n'avons pas besoin de honte. »

« Quand le vent souffle, des zones d'herbe haute se courbent, prennent des reflets argentés. Sur une bande de terrain, de grandes vaches frisonnes broutent tout autour de nous, tranquilles. Certaines lèvent la tête à notre passage mais aucune ne s'éloigne. Elles ont des pis gonflés de lait et de longs trayons. Je les entends arracher l'herbe à la racine. La brise, qui frôle le bord du seau, chuchote pendant que nous marchons. Nous ne parlons ni l'une ni l'autre, comme les gens se taisent parfois quand ils sont heureux. »

« Tu n'es pas toujours obligée de dire quelque chose, reprend-il. Pense que la parole n'est une nécessité en aucune circonstance. Nombre de gens ont beaucoup perdu pour la seule raison qu'ils ont manqué une belle occasion de se taire. »

« Tout, ce soir, semble étrange : marcher jusqu'à une mer qui est là depuis que le monde est monde, la voir et la sentir et la craindre dans la pénombre, écouter cet homme parler des chevaux en mer, parler de sa femme qui fait confiance aux autres pour apprendre à qui ne pas faire confiance, des paroles qui m'échappent en partie, des paroles qui ne me sont peut-être pas destinées. »

Quatrième de couverture

LES TROIS LUMIÈRES. Par une radieuse journée d’été, un père emmène sa fillette dans une ferme du Wexford, au fond de l’Irlande rurale. Le séjour chez les Kinsella semble devoir durer. La mère est à nouveau enceinte, et elle a fort à faire. Son mari semble plutôt désinvolte : il oublie le bagage de la gamine dans le coffre de la voiture en partant.

Au fil des jours, la jeune narratrice apprivoise cet endroit singulier. Livrée à elle-même au milieu d’adultes qui ne la traitent pas comme une enfant, elle apprend à connaître, au gré des veillées, des parties de cartes et des travaux quotidiens, ce couple de fermiers taciturnes qui l’entourent de leur bienveillance. Pour elle qui était habituée à une nombreuse fratrie, la vie prend une autre dimension. Elle savoure la beauté de la nature environnante, et s’épanouit dans l’affection de cette nouvelle famille si paisible. En apparence du moins. Certains détails l’intriguent : la manière dont Mrs Kinsella lui propose d’aller puiser de l’eau, les habits de garçon dont elle se voit affublée, la réaction de Mr Kinsella quand il les découvre sur elle…

Claire Keegan excelle à éveiller l’attention de son lecteur sur ces petites dissonances où transparaissent l’ambiguïté et le désarroi de ses personnages, si maîtres d’eux-mêmes. Et, dans cet envoûtant récit, le regard d’une enfant basculant à son insu dans le monde mystérieux des adultes donne toute sa force dramatique à la part cachée de leurs existences.

CLAIRE KEEGAN est née en 1968 en Irlande, où elle vit. Saluée comme 

Éditions Sabine Wespieser, avril 2011
100 pages

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