lundi 3 octobre 2022

L’homme peuplé ★★★★★ de Franck Bouysse

Vertigineuse lecture. Magique.
La plume de Franck Bouysse est inimitable, et il n'a pas son pareil pour nous embarquer dans un décor à l'atmosphère noire, inquiétante et poétique à la fois.  
Un livre peuplé de fantômes, polyphonique, qui entremêle passé et présent, qui se savoure. Ecriture virtuose, ensorcelée et ensorcelante, d'une si belle musicalité, qu'il est intéressant de lire à haute voix.  
J'ai en mémoire le passage que Franck Bouysse a lu à la Librairie de Paris, le mois dernier, lors d'un interview/présentation de son livre, j'en avais eu le souffle coupé.
Auteur enraciné qui pourtant voudrait voler, ses descriptions de la nature, de la terre sont fascinantes.
J'ai été conquise par cet opus. Et une fois la lecture achevée, on n'a qu'une envie, c'est de le reparcourir dans la foulée ! C'est l'effet Franck Bouysse !

Sur le montage-photo ci-dessus, petite dédicace à la mésange bleue qui inspira l'auteur. Bon ce n'est pas vraiment une mésange, ni par conséquent la mésange bleue, perchée sur le rebord de la fenêtre, qui observe son reflet, et que Caleb observe. Mais c'est le seul oiseau que j'ai photographié qui s'en rapproche le plus ;-)

« Fenêtre sur terre » m'attend...comme un écho à cette lecture.
« Ce qui peut exister, c'est la rencontre fortuite d'un écrivain et d'un lecteur, et ce n'est pas le livre seulement qui permet ce miracle, c'est l'oubli de celui qui l'a écrit et de celui qui le lit. »

« C'est que je cherche une image et non un livre. Tous ceux dont les écrits sont emplis de sagesse N'ont rien d'autre que leur coeur aveugle et gourd. »
William Butler Yeats, «Ego dominus tuus » (trad. Jean Briat)

« Le gras du ciel libère d'épais flocons qui nappent peu à peu la nature endormie. Perchée sur le rebord de la fenêtre, une mésange bleue, que l'on dirait ornée d'un loup de carnaval, observe son reflet. À moins qu'elle ne regarde l'être aux plumes ternes de l'autre côté de la vitre, menant à sa bouche sans bec une étrange brindille au bout incandescent d'où sort une pâle fumée. Une paire de pattes le fait tenir debout, et une autre lui sert à saisir des choses que l'oiseau ne sait pas nommer; et d'une de ces choses, la plus terrifiante de toutes, il a même vu jaillir un éclair dans un bruit de tonnerre et aussitôt dégringoler un pigeon du haut d'un chêne. En revanche, la mésange n'a jamais vu de telles pattes soulever l'homme de terre pour l'emmener ailleurs.
Caleb observe la mésange qu'ébouriffe la brise. Il envie l'oiseau, capable de demeurer un long moment immobile dans le froid, capable de le ramener à sa place en ce monde, quand lui vient le désir de s'en écarter, plus sûrement qu'un de ces gourous du prêt à-penser dont il entend parfois la sainte parole à la radio. En cet instant, la place de Caleb est dans cette maison, avec le feu qui crépite dans le fourneau de la cuisinière à bois, avec la chaleur sur son dos et sa nuque et ses épaules. Sa vie d'homme se résume à ceci : allumer un feu à l'aube, l'entretenir et le laisser s'éteindre dans la nuit pour mieux le rallumer le matin suivant. »

« Le silence revient. L'inquiétude se diffuse dans son corps, tenace. Avec le brouillard qui l'enveloppe, le paysage tout entier semble se replier autour de lui, comme pour isoler un parasite, l'enfer mer dans une gangue. Il n'est pas à sa place et chaque élément de l'environnement le lui signifie clairement. »

« Il lit très tard pour repousser l'affronte ment avec les créatures de la nuit. Il sait comment le sommeil travaille les corps démunis. »

« - Orphelins de souvenirs, c'est ce qu'on devrait tous devenir, comme ça au moins on hériterait que de ce qu'on fait et on éviterait de penser. Si je te raconte un jour des choses qui te concernent pas directement, c'est que je serai pas loin de la tombe, mais même à ce moment-là, je ferai tout pour pas être tentée.
Elle avait fait promettre à son fils de ne jamais ins taller d'horloge dans maison, ni même de porter une montre à son poignet, affirmant que l'heure, ce sont les animaux qui la donnent, qu'il ne faut surtout pas se fier au soleil, comme à tout ce qui brille disait que le trop. Elle temps est une trouvaille désastreuse des hommes, la pire qui soit, qu'ils ne sont que des idiots cherchant à rattraper ce qui les pousse, que ne pas jalonner une vie avec des babioles est garant de l'intégrité de l'esprit. Elle disait que le monde de chacun est clôturé des barbelés et que, s'ils viennent à céder, par il faut s'empresser de les réparer et de les consolider.
Voilà ce qu'elle avait dit à haute voix au cours de son existence, ainsi que quelques paroles supplémentaires dont Caleb se souviendrait plus tard. Il les avait toutes retenues et avait aussi appris de ses gestes; depuis, il récite les premières sans parvenir à dévoiler leur sens profond et répète les deuxièmes pour ne plus y penser.
Chaque nuit. »

« Il y a aussi une dizaine d'exemplaires d'un même livre alignés à côté: L'Aube noire. L'auteur n'est autre que Harry Perdien. Un des exemplaires est ouvert en première page sur le bureau. Caleb lit : « J'avais voulu mourir à cinq ans, pensant que ce serait toujours ça de fait » puis referme le livre et le range à sa place.
En regardant le brouillard plaqué à la fenêtre, Caleb se demande quel genre d'homme peut écrire ce qu'un gamin de cinq ans pense de la mort. Foutaises. Parce que s'il s'agissait de sa propre expérience, il serait six pieds sous terre à l'heure qu'il est. Quel homme peut prétendre au « je » en convoquant la mort ? »

« Il continuait de lire, le plus souvent de relire, la vingtaine de livres constituant son panthéon, comme on écoute jusqu'à sa mort Bach ou Schubert sans jamais se lasser, sans jamais en épuiser la forme. Les grands livres ont ce pouvoir-là, de modifier la trajectoire du lecteur à chaque lecture, de maîtriser le temps en déployant l'espace, de faire en sorte que rien ne s'est véritablement produit, qu'à tout moment peuvent surgir de nouvelles montagnes et de nouveaux abysses. Le temps révolu n'est dès lors plus une succession de moments déjà vécus, mais une suite insoupçonnée de rapports au monde. Harry se nourrissait dans l'espoir de récupérer quelques pierres supplémentaires glanées au fil de ses lectures, nécessaires à la poursuite de la construction de sa propre maison. »

« Les mots de Burroughs lui viennent en mémoire : « La neige... elle tend une main miséricordieuse à la terre et toute chose en son sein, mais à ce qui circule à la surface, elle oppose ses obstacles et son embargo. » Il ouvre un carnet et fixe la première page, ce grand silence blanc qui la parcourt, un grand silence neigeux. La neige, il est parvenu à la faire fondre il y a longtemps, pour laisser apparaître l'encre noire et cette phrase annonçant le printemps. »

« En ville, son regard est habitué à buter sur un obstacle de chair, de fer, de béton ou de verre. Là-bas, le ciel est très haut, il faut lever la tête si on veut en découvrir la trame; ici, il est à hauteur d'homme, peut-être un effet de l'hiver. En ville, les sons, les voix, les cris se conçoivent en bruit ; ici, chacun se distingue des autres sur l'apprêt silencieux. En ville, les arbres ne peuvent rivaliser avec les gratte-ciel, emmaillotés dans leur écorce grise, des mégots à leur pied; ici s'exprime leur toute-puissance, il n'y a que la distance pour abaisser leur cime, et même foudroyée leur histoire est immense. Ici, les lignes électriques s'érigent en clôtures d'un bestiaire fabuleux, que des oiseaux discrets surveillent comme des chiens de berger. »

« Une fois la tension retombée, Harry s'assoit sur une chaise près du foyer qui crépite, ses muscles se sont dénoués et son esprit vagabonde en un autre temps, un autre lieu. Il n'y peut rien, ne lutte pas contre le souvenir qui le traverse. Ce mot abandonné sur la table du salon par une femme, alors qu'il n'avait pas encore publié de livre : « Mes yeux se sont usés à guetter ta promesse. » Il pense à elle. Réfléchir, beaucoup, trop, c'est peut-être son grand problème; réfléchir à la vie, aux femmes, à la littérature, trois féminins impossibles à accorder. »

« Harry mange à même la casserole tout en lisant les Mémoires d'un paysan du vingtième siècle. Il lit plusieurs fois certains passages pour la précision des gestes, les ambiances étranges et les superstitions. »

« ... vers un temps abandonné aux portes d'un passé refoulé. Et ce tic-tac, comme le bégaiement d'une réalité ne pouvant qu'être vaincue par la mort. Parce que entre oublier et conquérir, il n'y a pas d'espace, deux projets qu'on ne parvient jamais à mener à bien, sinon en disparaissant, en s'extirpant de cette maudite substance épaisse et glauque, inaltérable, sans laquelle nous serions des êtres magnifiques, libres et sans orgueil, exempts de la crainte de mourir. »

« La vanité est un marteau, et nos vaines espérances les clous qui scellent le cercueil. »

« Elle avait aussi confié à Caleb que si un jour l'envie le prenait de gravir une colline pour se prouver quelque chose ou simplement voir de l'autre côté, il lui faudrait lever la tête une fois en haut et regarder le ciel, de nuit comme de jour, car cet infini inconcevable le ramènerait toujours à la surface de son existence : une ferme à entretenir, à conserver sans songer à l'étendre. Vivre n'était pas se soumettre au temps, ni aux êtres, ni aux événements qui le balisent. Le meilleur moyen d'oublier ses ambitions était la discipline et le travail, reproduire la même journée, ne rien changer, refouler les tentations. Pour Sarah, seuls les animaux avaient le talent de venir au monde sans ambition. Eux seuls étaient en mesure de ne pas désirer devenir plus qu'une alternance de mouvements et de repos, eux seuls étaient capables de ne jamais convoquer un quelconque après dans une seule vie offerte. L'effacement était la doc trine de Sarah. Caleb avait reçu l'enseignement. Il devait ainsi éviter de côtoyer les humains, car selon elle, les formes d'attachement ne conduisent qu'au reniement de soi et l'on finit toujours par se trahir dans la haine ou le consentement. Lorsqu'elle parlait de haine, Caleb sentait que le sentiment accompagnait les mots de sa mère, une haine destinée à quelqu'un en particulier qu'elle ne pouvait nommer ni même évoquer. »

« Depuis longtemps, le double en littérature obsède Harry, l'idée selon laquelle le moi se protégerait de l'anéantissement en créant un double messager de la mort. El otro, disait Borgès. Un double qui ne serait pas un sosie ou un jumeau, mais un autre, capable d'es dosser le bonheur, la frustration, le courage, la peur, le désespoir, la lâcheté, la monstruosité, la folie, l'amour, la haine..., toutes les impossibilités momentanées ou non de l'original subordonnées à un double tout puissant. Il n'y a pas lieu de faire coller ces deux-là »

« Ce qui peut exister, c'est la rencontre fortuite d'un écrivain et d'un lecteur, et ce n'est pas le livre seulement qui permet ce miracle, c'est l'oubli de celui qui l'a écrit et de celui qui le lit. »

« Caleb souffle la fumée de cigarette vers la télévision allumée et les volutes s'écrasent mollement contre l'écran puis s'étalent et le contournent. Une fille par court la planète. En ce jour, elle parle du haut d'une tribune, depuis le siège de l'ONU, Elle porte une chemise mauve et une longue tresse retombe sur son buste androgyne, semblable à une liane. La colère déforme sa bouche et son visage. Telle une tragédienne, elle crache des mots définitifs alignés sur l'apocalypse dans le but d'éveiller les consciences. Trop naïve pour savoir qu'on ne peut éveiller ce qui n'existe pas chez la majorité de ceux qu'elle invective avec gravité dans l'assistance ou à travers le téléviseur : les décideurs et les figurants. Mais petite, tu te fatigues pour rien. Caleb sait d'expérience que la colère ne mène nulle part, mais qu'on ne peut pourtant s'en défaire lors qu'elle vous prend, qu'une fois dans le ventre, elle n'en ressort pas, sinon pour nourrir une plus grande haine. Caleb a entendu chanter une cigale l'été dernier. Au début, il n'y a pas cru, puis a fini par la débusquer sur le tronc centenaire de la glycine courant sur les clapiers. Bien sûr que la fille a raison, lui aussi ressent la douleur de la terre, constate que les hommes la font vieillir à toute vitesse grâce aux outils aiguisés par leur avidité. Pauvre chérie, bercée d'illusions, qui semble découvrir que les tribunaux sont présidés par les coupables, ceux-là mêmes qui font tourner la planète empalée sur une broche au-dessus du feu qu'ils ont allumé. »

« Pour que tout soit parfait, il faudrait qu'il n'y ait aucun survivant, sinon un jour ou l'autre, on recommencerait les mêmes erreurs. L'homme a toujours réussi à faire mieux, en pire. Il faudrait aller au bout des choses, ne pas se louper. Ce monde a besoin d'une catastrophe globale, à l'échelle de la planète, qui dénicherait chacun et chacune, partout, jusqu'au village, à commencer par le maire, et son fils, bien sûr. L'écrivain y passerait aussi, n'aurait pas le temps de se réfugier dans un de ses fichus bouquins. Pas un pour rattraper l'autre. Personne à sauver. Enfin presque. Caleb aimerait jouir du spectacle, jusqu'au bout, mais ce n'est pas possible. »

« Entre l'idée
Et la réalité 
Entre le mouvement
Et l'acte
Tombe l'ombre

Entre la conception 
Et la création
Entre l'émotion 
Et la réponse 
Tombe l'ombre.

Caleb lit plusieurs fois le poème. En dehors des roses de Ronsard, son expérience dans le domaine est limitée. Le sens lui paraît pourtant explicite. Nul besoin de faire autant de détours pour dire à peu près la même chose. Caleb pourrait résumer ainsi : De la coupe aux lèvres tombe l'ombre.

Il sait enlever le feu, guérir les mammites, faire disparaître les verrues, trouver de l'eau, et un tas de choses tout aussi utiles. Pour lui, les ombres ne tombent pas, elles rampent, tournent autour des substances, ne font pas de différence entre le vivant et l'inerte. Le poète parle d'un autre genre d'ombre, probablement une ombre fabriquée par une idée, quelque chose comme ça. Plus d'une fois Caleb a évalué l'écart entre l'idée et la mise en pratique et cette sorte d'ombre, il la nommerait plutôt impuissance, ou parfois misère. S'il affiche de tels mots sous son nez, l'écrivain ne doit pas être dans une bonne passe. Peut-être qu'il n'a plus assez d'encre dans le stylo et qu'il est venu se perdre ici pour essayer de refaire le plein. »

« Caleb éteint la radio et laisse le navire sombrer lentement et les disparus grossir les rangs des morts. L'écrivain vient de partir. Il se souvient du livre posé sur le bureau. Il aurait aimé l'emporter, mais c'est impossible. Le don de Caleb ne se réduit pas à trou ver l'eau ou enlever le feu ou encore à souffler le mal hors d'un corps, il est aussi capable de ressentir ce qu'abandonnent les gens quand ils ont occupé un espace : souffrance, joie, colère, tout ce qui les anime. Le livre représente l'espace de l'écrivain, Caleb a vu clair à l'intérieur, mais il ne fait pas confiance aux mots. Peut-être avec le temps. »

« Il se demande souvent ce qu'imaginent les autres, rien qu'en les observant, tente d'interpréter un geste, une attitude, Les femmes, en particulier. Habiter le présent, il n'y arrive guère. « Nous ne sommes jamais chez nous, nous sommes toujours au-delà.» Montaigne avait raison en ce qui le concerne. Un désir de conquête ronge les hommes depuis la nuit des temps, alors que les femmes s'habillent du désir de l'instant, et leur désir revêt tant de formes que les hommes sont bien souvent nus face à lui, presque toujours à contretemps. Une femme est singulière dans l'amour et les hommes si prévisibles par la nature de leur sang. Sofia ne ressemble à aucune des femmes qu'il a rencontrées. Elle le trouble. Cette manière qu'elle a de rester à distance, tout ce qu'elle refuse encore de dévoiler et qu'il est incapable de soupçonner. »

« Il n'est jamais parvenu à saisir la véritable nature de la relation entre son père et sa mère. Ils sont tellement différents, et pourtant, se sont trouvés et gardés. À les voir si liés dans vieillesse, Harry les trouve touchants, mais ne les envie pas. Il se souvient de ce repas d'anniversaire durant lequel son père avait qualifié sa compagne de « femme de ma vie ». Harry n'avait pu s'empêcher de trouver l'expression désespérante, car elle traînait dans son sillage l'idée d'un destin commun, scellé par le possessif charriant son lot de compromis pour que se réalise ce destin. Une fois assouvie la dérisoire ambition du nid et de l'œuf, que reste-t-il des ambitions de chacun ? »

« - Elle t'aide à quoi, au juste, la littérature?
Silence.
- À défier la mort. Il n'existe nulle part d'œuvre profonde sans l'ombre de la mort. Le reste n'est que vulgarité. »

« Il continue de s'imprégner de l'environne ment, de s'en nourrir. L'envie d'écrire est là, mais pas encore l'émotion brutale nécessaire au passage à l'acte. Ce pays le fascine. Ne surtout pas essayer de l'accorder à sa propre réalité, c'est à lui de s'accorder à ce monde qu'il découvre chaque jour un peu plus, de le laisser s'incarner en images, signes et symboles à traduire, de l'interpréter à sa manière, par son regard extérieur, afin que ce monde devienne un monde global, total. Écrire demande une grande écoute de soi. Son père souffle ces mots à son oreille. Ajoute que les certitudes ne servent qu'à consolider les garde-corps de l'esprit, qu'il n'y a bien que l'art et l'amour, poussés à leur point d'incandescence, pour les faire voler en éclats. »

« Un jour, la forêt aura disparu. Il ne subsistera qu'un seul arbre noué de toutes les figures du passé. Et l'arbre mourra à son tour, entraînant dans la mort sa mémoire sculptée, implorant le pardon de n'avoir pas la force d'être celui qui fait taire le glas et sonner le tocsin.
Plus tard, d'autres essences endémiques sortiront de terre, en lieu et place, et les hommes qui la fouleront s'interrogeront sur la présence de l'arbre couleur d'os aux multiples scarifications. Ils en déduiront la que nature reprend ses droits, sans même réaliser que le droit est une invention humaine, et que le drame de ce mot est de n'avoir pas de véritable contraire dans leur esprit, si ce n'est, parfois, dans l'effondrement éphémère de leur pensée. »

« Et lui, [...] comprenait que véritable pouvoir de cette femme ne résidait pas le dans mais dans le premier regard qui avait déclenché la grande faim. Il n'avait alors eu d'autre choix que de laisser l'avalanche dévaler la pente sans bouger d'un pouce. Parce que les femmes, en vérité, ça ne veut rien dire pour un homme. Avant qu'il ne rencontre celle qui supprime le pluriel. »

« Mon cher ami,

Nous savons tous les deux que le verbe naissant vaut mieux que celui qu'on recycle. Peu importe le prix à payer.
Tu as écrit...
Pour la mésange bleue, Pour l'homme derrière la vitre, honorer sa mémoire, Pour la mère de cet homme, ses gestes ensorcelants et sa parole éteinte,
Pour un vagabond et une ombre accrochée à son ombre, jetés au fond d'un puits, 
Pour une fille venue cogner et qui n'en savait rien, à la porte d'un mourant, 
Pour leur enfant,
Pour clouer les coupables à la porte d'une grange, 
Pour un vieil homme pendu au désespoir, Pour un bélier sacrifié, et maintenant ressuscité, 
Pour un oiseau de nuit effleurant un tapis de cendres, 
Pour un chien déchirant de ses cris les couches d'obs curité, Pour ton père qui ne survivra peut-être pas à la prochaine attaque,
Pour ta mère qui croyait arrêter le temps en t'offrant une montre,
Pour une femme qui guettait ta promesse,
Pour ceux qui sont partis et reviendront toujours,
Pour tous les invaincus,
Pour ceux qui ont tracé la voie,
Pour le loup marchant dans la steppe enneigée, Pour cette nuit éclaboussée d'étoiles, semblable à la robe d'un mage,
Pour une éternité, échapper à la mort,
Pour ce que tu ne savais pas et ne sauras jamais, 
Pour l'invraisemblable vérité, elle t'appartient, 
Pour l'homme peuplé que tu es devenu.
Nul ne sait quand nous nous reverrons. Moi qui sais les ailleurs où s'enchâsse ton âme, moi qui ai encore tant de noms à t'offrir, je ne signerai pas. »

Quatrième de couverture

Harry, romancier à la recherche d'un nouveau souffle, achète sur un coup de tête une ferme à l'écart d'un village perdu. C'est l'hiver. La neige et le silence recouvrent tout. Les conditions semblent idéales pour se remettre au travail. Mais Harry se sent vite épié, en proie à un malaise grandis sant devant les événements étranges qui se produisent.
Serait-ce lié à son énigmatique voisin, Caleb, guérisseur et sourcier ? Quel secret cachent les habitants du village ? Quelle blessure porte la discrète Sofia qui tient l'épicerie? Quel terrible poids fait peser la mère de Caleb sur son fils ? Entre sourcier et sorcier, il n'y a qu'une infime différence.
Au fil d'un récit où se mêlent passé et présent, réalité apparente et paysages intérieurs, Franck Bouysse trame une stupéfiante histoire des fantômes qui nourrissent l'écriture et la création.

Éditions AlbinMichel, septembre 2022
317 pages

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