samedi 31 décembre 2022

Le lâche ★★★★☆ de Jarred McGinnis


Drôle, cynique, émouvant, sensible, puissant "Le lâche" fait partie des lectures qui m'auront le plus marquée cette année. 
Un premier roman réussi, inspiré plus ou moins de la vie de l'auteur, comme il nous l'a dit lui-même lors d'une rencontre à Paris en novembre dernier, qui raconte, avec beaucoup d'humanité et de tendresse, et dans une alternance passé/présent, la longue reconstruction du corps après un tragique accident de voiture, les liens familiaux, distendus que le temps, les concessions, le pardon aident à rebâtir. "Le lâche" raconte aussi l'absence d'une mère, l'impact des traumatismes de l'enfance, l'errance des jeunes et la violence dans la société américaine, les doutes, les espoirs, les mauvais choix, les regrets, l'amour fou, passionné, égoïste, la culpabilité ... 
J'ai ri, souri, pleuré et j'en voulais encore en tournant la dernière page de ce roman. Et cette question à laquelle je ne sais répondre : qui est vraiment LE lâche dans l'histoire ? 
« Au fil des ans, les histoires qu'on se raconte se modifient. Forcément. Qui voudrait être un faire-valoir ou un personnage secondaire dans le récit de sa propre vie ? On choisit les scènes et les chapitres pour raconter une fiction dont on est le héros. C'est la seule manière de survivre aux entailles, aux blessures et aux cicatrices que la vie nous réserve ? Et pourtant, on garde le couteau à la main. »
Une lecture touchante et forte à ne pas rater !



« La distance entre l'imagination et le souvenir se mesure en termes d'aveuglement de soi. »

« Mr. Donut a soulevé la partie amovible du comptoir et s'est avancé pour me serrer la main. Je m'attendais au sempiternel "Ben qu'est-ce qui t'est arrivé?" mais rien n'est venu. Peut-être Jack lui en avait-il déjà parlé,
peut-être était-il assez malin pour se taire, à moins que la question ne l'intéresse pas. Dieu bénisse les êtres dénués de curiosité. »

« Ma fugue m'avait donné, avait donné à Jack, dix ans de tissu cicatriciel. De la chair endommagée mais fonctionnelle. Le corps entier pouvait être sauvé si nous laissions le passé palpiter sous les vieilles blessures. »

« Les tendons de ses avant-bras étaient gonflés à craquer, tendus comme des câbles de bateau. Il avait le visage en feu. La plupart du temps, nos vies se détraquent lentement, une suite d'incidents et de décisions séparés par des laps de temps suffisamment longs pour qu'on s'habitue peu à peu à un monde qui tourne de moins en moins rond. Il y a des exceptions. Un instant donné, un repère précis qu'on peut revoir et se dire: c'est là tout a commencé. C'était un de ces moments. »

« Je n'ai pas mis longtemps à me repérer dans ces bois de pins. Une contrée encore sauvage bordée par les banlieues, assez vaste pour qu'il y reste quelques cerfs sur lesquels des culs-terreux venaient tirer illégalement depuis la cabine de leurs camions, mais assez limitée pour que je sache, même si je me perdais, que je retrouverais au plus tard mon chemin le lendemain. Me perdre était exactement ce que je recherchais. »

« Sur mes lèvres, je sentais encore ses baisers, je revoyais son corps comme le fantôme des vagues après une journée passée en mer. »

« Je suis rentré à la maison et me suis déshabillé dans ma chambre. J'ai retiré chaussures et chaussettes à grand-peine. J'avais les pieds rouges et enflés, un des bénéfices secondaires de la paraplégie. Quand on ne fait pas travailler les muscles des jambes, le sang et autres liquides corporels descendent et stagnent dans les pieds. On peut enfoncer le doigt dans la chair comme dans une boule de pâte levée. Le creux persiste pendant quelques secondes avant de se remplir à nouveau. C'est une bonne animation pour les goûters d'enfants. »

« Sauf qu'il n'avait pas vraiment arrêté de boire ce jour- là. Je connaissais la vraie histoire du soir où il avait lâché l'alcool. Il ne se rappelait peut-être pas qu'il me l'avait racontée. Peut-être l'avait-il oubliée. Au fil des ans, les histoires qu'on se raconte se modifient. Forcément. Qui voudrait être un faire-valoir ou un personnage secondaire dans le récit de sa propre vie? On choisit les scènes et les chapitres pour raconter une fiction dont on est le héros. C'est la seule manière de survivre aux entailles, aux blessures et aux cicatrices que la vie nous réserve. Et pourtant, on garde le couteau à la main. »

« Le sale tour que l'alcool vous joue, c'est qu'il vous laisse ressentir la douleur, mais qu'il ne la laisse pas vous pénétrer. Il balaie ces sentiments, si bien que vous devez les redécouvrir encore et encore, ce qui vous donne envie de boire davantage. De sorte que, durant ces premières semaines, en plus de m'assurer que je ne boirais plus une goutte, j'ai dû faire le deuil de cette femme par- faite jusqu'à hurler à la mort. Et la seule chose qui m'a fait tenir, c'était d'avoir une barre chocolatée dans une poche et la liste des prochaines réunions dans l'autre. Ce soir, c'est ma quatre-vingt-dixième réunion en quatre-vingt-dix jours. »

« - Le dossier dit que l'effondrement de l'unité familiale a été causé par le décès inattendu de la mère. C'est exact?
Il évoquait la mère disparue comme on parle du carburateur foutu. Une pièce mécanique qui rend l'âme. Pour le docteur-boucher, elle était "la mère". Ça m'allait bien. Il n'avait aucun droit d'utiliser son nom. »

« Au-delà s'étendaient les espaces infinis du Midwest. Le paysage n'avait rien du charme évident des Rocheuses, mais les couleurs vous sautaient aux yeux. Un ciel plus grand que Dieu, clair et intense, qui captait tellement l'attention qu'on ne comprenait pas pourquoi on avait mis tant de temps à inventer le mot "bleu". Au-dessous d'épaisses traînées de vert et de jaune, et les touches des maisons si isolées qu'on se demandait quelles existences pouvaient mener les gens sous leurs toits. Dans le loin- tain la poésie se profilait, mais je n'en avais aucune à offrir. »

« C'est impossible. On ne peut pas éviter toutes les erreurs. Il faut seulement éviter celles qu'on peut. Et c'est là que tu as besoin d'être aidé. Tu te rends la vie plus dure que nécessaire. Tu t'attaches à tout ce qui est cassé, parce que tu crois que tu mérites tous les ennuis qui t'arrivent. Dans ce monde, les choses ne sont pas une question de mérite. »

Quatrième de couverture

Un terrible accident de voiture, une femme meurt, un homme reste paralysé et un père retrouve son fils. Dix ans après s'être enfui de sa maison, l'adolescent qui fuguait sur les trains de marchandises et qui traversait le pays en stop est maintenant en fauteuil roulant. Son père, aussi aimant qu'écorché, est la seule personne qui viendra sans hésiter le chercher à l'hôpital.

Le Lâche est un premier roman poignant, touchant et plein d'humour sur les retrouvailles impossibles, les reconstructions d'un corps, d'une relation, d'une vie, d'une mémoire, et sur la possibilité de redécouvrir le bonheur quand tout semble perdu. Ce livre décapant, qui explore avec puissance le pardon et le regard d'autrui sur la différence, signe la naissance d'un grand auteur capable de faire cohabiter la brutalité avec la lumière, le rire et la tendresse avec les souvenirs explosifs, le café filtre et les donuts avec l'ivresse de l'aventure.

« Le Lâche est drôle jusqu'à faire mal, il est beau et vrai, vrai, vrai jusqu'au centre de son cœur tellement humain. » A. L. Kennedy

« Tendre, brillant et sauvagement drôle. » The Guardian

Jarred MCGINNIS est né aux États-Unis. Il a grandi entre la Floride et le Texas, puis a vécu en Ecosse et en Angleterre. Il est docteur en Intelligence artificielle et vit actuellement à Marseille. Son premier roman, Le Lâche, en cours de traduction dans plusieurs langues, a été élu l'un des meilleurs livres de l'année par The Guardian et la BBC.

Éditions Métailié,  août 2022
338 pages
Traduit de l'américain par Marc Amfreville
Prix du premier roman étranger 2022

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