jeudi 5 décembre 2019

Le baiser de l'ogre ★★★★☆ de Elsa Roch

Un roman policier noir atypique.

Un concentré d'humanité et de poésie.

Un rapprochement touchant et inévitable entre deux écorchés, Amaury Marsac, chef de groupe à la criminelle, et Lise Brugguer, membre de son équipe.

Une rencontre touchante avec un petit être de lumière, Liv (quel doux prénom), petit ange, aux mains qui papillonnent, petite Miss Butterfly, qui se répète ses petits mots magiques, MamanAmour, PapaLàHaut, Juliette Chérie, AmauryDouceur, MarcRainbow, des mots pour seule arme qu'elle « envoie combattre la peur qui veut revenir près d'elle et l'étreindre. » Un petit être fragile et lumineux à la fois, vecteur de paix et de bonheur, qui aidera Amaury et Lise à vivre au présent, à retrouver confiance et sérénité.
La différence comme sacerdoce, comme électrocuteur, comme éveilleur de conscience. « Contre toute attente et en dépit de ses effroyables silences, Liv les attire dans un monde meilleur, celui de la différence, mais aussi de la candeur, des coeurs qui palpitent plus fort à son contact, de l'envie qu'elle fait naître de se surpasser. Oui, cette enfant est aussi un bonheur. »
«  [...] l'homme est une machine que l'on ne peut toucher sans danger lorsqu'on ne la connaît pas. Il a oublié l'auteur de cette sentence mais pas la mise en garde. »
Une double enquête et une petite fille autiste à protéger attendent Amaury. Il va se retrouver  dans « un kaléidoscope hypnotique » ou plus simplement, dans un beau bordel.  Alors comment réussira-t-il à « s'exfiltrer du nuage de fractales qui l'ensevelit ?  » À vous de le découvrir ;-)

Ce que je peux vous dire, c'est qu'Amaury Marsac est un être bienveillant et doux, aux valeurs fortes, qu'il entend le hurlement prémonitoire des nuits sombres et maîtrise les arcanes de la folie, qu'il est entouré d'une équipe solide et d'un ami, sur qui il peut compter en toutes circonstances. Un chef bienveillant, qui découvrira que son équipière « a eu un père à l'égard duquel il ne trouve pas de qualificatifs. », que « Sous les murmures d'amour se cachent parfois de belles saloperies. Mais la vérité on ne la contourne pas longtemps, et elle vient de [lui] sauter à la gorge. » 
« Plus tard, elle deviendra flic pour défendre les orphelins  du monde entier, comme Fantômette dont elle dévore les aventures, à l'école. Sa mère et Papa-like incarnent la mort; elle sera la vie .»
Si pour un enfant, la mère ne joue pas son rôle de protectrice bienveillante « Alors la petite n'a plus de larmes, elle est sèche, elle pourrait casser comme une brindille. »
Instaurer une bulle d'amour et de bienveillance autour de son enfant est une nécessité. Être à l'écoute. Déceler un malaise. Anéantir l'ogre qui sévit sournoisement dans le cocon. À défaut, l'équilibre familiale est rompu et le coeur poignardé.
« [...] le bonheur et l'équilibre sont fragiles. Tant de gens l'ignorent et en prennent conscience brutalement, une fois l'épine fichée dans le coeur et le coeur ensanglanté. »
L'enquête n'est pas classique. Pas de scènes crues, pas de détails gores. C'est à distance, de loin, que le lecteur suit les avancées de l'enquête, au calme, en apparence. Le temps est comme suspendu et le suspense monte crescendo.  
« « Il faut deux rivages à la vérité : l'un pour aller, l'autre pour son retour. » Deux rivages à la vérité. Marsac pressent que le trajet sera long, qu'il lui faudra avaler le brouillard et se battre contre les ténèbres. »
C'est sur un terrain psychologique que l'autrice nous fait glisser et frémir d'émotions.
Une plume délicate et sensible pour parler des passés tus car difficiles à porter. « [Leurs] souvenirs qui tambourinent à la porte de [leur] mémoire et [les] consument. » « Oui, le passé s'infiltre dans notre vie, la marque d'empreintes qu'il suffit de savoir déchiffrer pour une meilleure compréhension du présent. » Pour parler des difficultés de la vie. 
« Quel bordel la vie. Ça ne changera jamais. Oui. Il en est convaincu. Les pires pages de l'histoire de l'humanité se répètent sans cesse et, de l'outre à la canette, l'Homme, quel que soit l'endroit sur cette Terre, n'a finalement que très peu évolué. Et il regrette instantanément sa Sibérie. Là-bas, le danger s'identifie au premier coup d’œil, le froid saisissant, la neige quasi éternelle, les ours bruns, les grammes de vodka, mais rien de pernicieux, alors qu'ici tout lui apparaît plus flou, plus traître et infiniment plus douloureux. »
Un jour
mon amour
je détruirai ta tour
d'ivoire
pour voir
s'embraser nos espoirs
et le vent du soir

Deuxième livre en quelques jours qui évoque les splendeurs des paysages autour du lac Baïkal; il faut que je déniche un livre graphique sur cette destination. Je vais laisser mes yeux me transporter dans ces contrées revigorantes et faire chavirer mon coeur. « Une perfection de carte postale, démesurée, sauvage et quasiment indomptée, qui a fait chavirer son coeur d'homme éprouvé par la vie et de flic épuisé. Cette couche de glace à perte de vue, il la reçoit comme une page vierge sur laquelle il pourrait, peut-être, écrire un bout d'histoire qui lui conviendrait enfin. »

Un grand merci aux éditions Calmann-Lévy et à Babelio.
Évitez les ogres, mais n'évitez pas ce livre !  
« Allez viens, Miss Butterfly, je t'emmène écouter les rires des mouettes de Paris sur les bords de la Seine. Il fera meilleur là-bas, tu vas voir. »

« Qui cherche à savoir ce qu'a été notre enfance, cherche quelque chose de notre âme.Alice MILLER (en épigraphe)
Tout à coup, sous ses quatre-vingts kilos et en dépit de la tiédeur de l'air, Marsac a froid. Ses yeux brûlent. Il entend, on lui parle, mais les sons lui parviennent comme filtrés à travers du coton. Et il s'en fout, de ce qu'on peut bien lui raconter. Son équipe, il l'a choisie et il y tient comme à la prunelle de ses yeux. Ensemble, jour après jour, nuit après nuit, ils font face, encaissent les coups, célèbrent les victoires. Ils forment un tout indissociable. Ses yeux se posent de nouveau sur l'homme mort. Mais c'est qui, ce type ?
L'aube paresse encore et il court déjà dans les rues désertes de Paris, cravate autour du cou, tentant d'oublier les grèves sableuses de ses rêves sur lesquelles, quelques minutes auparavant, il vivait enfin dans un monde meilleur, loin de son quotidien de chef de groupe au 36, quai des Orfèvres. Une adresse mythique pour une vie usante, et un métier de chien, qui le dévore avec application. Il traverse la place Dauphiné au pas de course, aveugle à la beauté du "sexe de Paris" louée par les poètes [...].
L'amour, cette belle excuse, cette chimère qui mène au pire.
Une autre nuit s'achève au milieu des hurlements des sirènes de police et des véhicules d'urgence, son ciel de plomb zébré par des éclairs bleutés qui n'en finissent pas de mettre en lumière la dévastation du monde. Aujourd'hui, elle s'incarne sous les traits d'un homme obèse, les bras griffés jusqu'au sang, les yeux creux, la bouche explosée ; une "vermine". Un "ogre", corrige Marsac à la vue du corps difforme.
Le rouleau compresseur de la Crim' vient de se mettre en marche, rien ne l'arrêtera. On leur offre encore là-bas, au 36, une denrée rare, le temps de s'acharner, et ils n'abandonnent jamais aucune affaire. Leur devise, « Qui s'y frotte s'y pique », qui a forgé leur force et une spécificité partout jalousée, ne doit rien au hasard.
[...] Là où le temps s'est enfin suspendu au-dessus de la beauté. Au bout du monde, et c'est à peine assez loin puisque vous réapparaissez alors que je suis en vacances.[...] Par la fenêtre entrouverte en dépit du froid glacial, Raimbauld admire la splendeur millénaire de ces eaux. Une perfection de carte postale, démesurée, sauvage et quasiment indomptée, qui a fait chavirer son coeur d'homme éprouvé par la vie et de flic épuisé. Cette couche de glace à perte de vue, il la reçoit comme une page vierge sur laquelle il pourrait, peut-être, écrire un bout d'histoire qui lui conviendrait enfin. 
Allez viens, Miss Butterfly, je t'emmène écouter les rires des mouettes de Paris sur les bords de la Seine. Il fera meilleur là-bas, tu vas voir. 
[...] il se console en se disant qu'un jour il n'aura plus mal nulle part, son coeur et son corps auront gercé, il sera devenu insensible à la douleur, à la colère, aux ides. Ce jour-là signera la fin. Il sera mort. En attendant, il doit veiller sur une enfant, et il a du taf à revendre.
L'essentiel de la vie se joue dans les intervalles, les couloirs, les marges, ces distances floues auxquelles les nuits creusent des boulevards. 
« Il faut deux rivages à la vérité : l'un pour aller, l'autre pour son retour. » Deux rivages à la vérité. Marsac pressent que le trajet sera long, qu'il lui faudra avaler le brouillard et se battre contre les ténèbres.
Rien de plus chronophage que les enfants. Rien de plus beau non plus. Je suppose que c'est la rançon à payer.
[...] la pluie tambourine sur la baie vitrée et dessine des larmes célestes.
Débusquer le positif partout fait partie des nécessités de la vie sous peine de chuter avant l'heure.
[...] le bonheur et l'équilibre sont fragiles. Tant de gens l'ignorent et en prennent conscience brutalement, une fois l'épine fichée dans le coeur et le coeur ensanglanté.
Parfois on ne mesure nos paroles que lorsqu'elles nous ont échappé, comme si l'extérieur avait la capacité de révéler leur véritable nature.
Cette affaire date d'un siècle.Pas pour celles et ceux qui ont perdu un être cher. Qui d'autre mieux que vous pour comprendre que parfois le passé dure longtemps ?
Ils s'affrontent du regard. Une nage à contre-courant en eaux glacées.
- Je crois que je suis en train de tomber amoureux.
[...]
- Attention, [...] je n'en suis pas certain. Depuis le temps, j'ai oublié l'effet que ça fait. Mais dans le doute, on va quand même fêter l’événement.
Marsac, lui, sait. La caverne voûtée d'ombre qui sommeillait dans une apparente calme indifférence tout à coup baignée d'un éclat de lune, les murs qui reculent sous la pression des battements de coeur. 
Crever les rêves naissants ne fait pas partie des nécessaires laideurs imposées par la vie.
La vie réserve quelques surprises, dont certaines plus libres que nos pensées. Il faut en prendre conscience, se méfier de soi-même.
Sous les murmures d'amour se cachent parfois de belles saloperies. Mais la vérité on ne la contourne pas longtemps, et elle vient de me sauter à la gorge.
Dans la foulée, une voix masculine, il la resitue tout à fait c'est celle, traître et douce qu'il a entendue tout à l'heure près d'Elsa, se faufile dans son rêve et le réveille. Il ne dormira plus. Debout sur le balcon, il l'imagine appartenir à un grand brun, mais à un grand brun aux atomes ajustés au cordeau, au corps sculpté par les déplacements en terrains inhospitaliers, au comportement irréprochable, un grand brun toujours dan les clous et qui sait répondre présent. Un mélange de peur et de jalousie explose dans son ventre, ce type, il rêve de lui faire mordre la poussière.L'amour, cette belle excuse, cette chimère qui mène au pire.
Dehors, le ciel a perdu de sa superbe estivale et se nappe d'un entrelacs gris monochrome qui ressemble comme un frère à un matin de rendez-vous d'autopsie.


Les feuilles pourpres qui parsèment les trottoirs donnent à Paris des allures de carte postale pour touristes. Ou les couleurs d'un incendie. Mais pour Marsac, au milieu danse un ogre.

Les autres vivent souvent ça au printemps, avec les montées de sève dans les arbres, elle, c'est à l'automne que le désir renaît. La faute à ces feuilles mortes qui ravivent des envies de forêts, et des tapis de mousse et d'un homme avec qui s'y rouler comme une môme. Côtoyer la mort nuit et jour dégrade certains êtres, mais pas elle. Pour Rebecca Keller, l'inéluctable ravive cette mystérieuse puissance, joyeuse et saine, cette liesse d'exister.
Nous naissons tous du même fleuve mais nous y évoluons chacun à notre manière et certains, tombés loin des berges, se laissent emporter par le courant pour sombrer dans un autre, parallèle, celui des pulsions que plus rien n'endigue.
Paris Ville Lumière, c'est du vent. Paris enfante, Paris accueille, mais Paris broie tout ce qui évolue en marge.
Il y a quelque chose de pourri au royaume des secrets de famille, et les plus lourds, dans cette insistance à les cacher à n'importe quel prix, s'emparent des rênes de nos destins, maîtres impitoyables et silencieux. Toutes les familles en abritent petits ou grands et il existe des mystères sans conséquences, mais d'autres sèment les victimes comme les grands-mères les baisers au creux des nuques.
Effacez toute trace de compassion au fond de votre regard [...]. La compassion implique d'être deux, au minimum. Et vous savez quoi ? On souffre toujours seul. Le reste, c'est du vent. »

Quatrième de couverture

Ce flic n’affronte pas seulement le Mal.
Il combat les Ogres.

Paris, en pleine nuit. Amaury Marsac, chef de groupe à la Criminelle, découvre dans le hall d’un immeuble sa plus jeune équipière, Lise Brugguer, gisant entre la vie et la mort. Près d’elle, un cadavre d’homme à la tête explosée, mais pas d’arme.
Avant de sombrer dans l’inconscience, Brugguer lui révèle qu’elle a une fille de trois ans, qui est peut-être en danger, et que lui, Marsac, doit veiller sur elle.
Marsac est stupéfait d’apprendre l’existence de cette enfant. Et quand il la rencontre, petite fille muette aussi mystérieuse qu’attachante, la protéger devient son obsession. Mais pourquoi Brugguer était-elle dans ce hall ? Quelles étaient ses relations avec la victime, vermine criblée de dettes ? Et qui pourrait en vouloir à cette petite fille ?
Marsac va devoir démêler les faux-semblants et déterrer les secrets du passé de son équipière pour percer la vérité. Et vaincre l’Ogre…

« Elsa Roch donne une voix à ceux qu’on n’entend pas d’habitude ou que l’on refuse de regarder. Un nouveau souffle à la fois doux et puissant dans l’univers du roman policier. »
Sophie Peugnez, Librairie Brouillon de Culture, Caen

Éditions Calmann-Lévy Noir, octobre 2019
303 pages 

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