lundi 2 décembre 2019

Le prix ★★★★★ de Cyril Gely

« Il faut toutes les vérités pour faire un monde . » 
Paul Éluard

C'est l'histoire d'un homme qui aurait bâti sa propre légende sur le mensonge.
C'est aussi l'histoire d'un règlement de comptes entre deux vieux amis.
C'est enfin également l'histoire d'une épouse qui désire plus que tout, connaître la vérité sur ce qui s'est passé une certaine nuit, celle du 12 juillet 1938, la nuit où la collaboratrice de son mari, leur amie, s'est enfuie de chez elle, et a quitté Berlin pour toujours.

Lise Meitner, est la collaboratrice, injustement restée dans l'ombre. 
La légende, c'est Hahn Otto, Prix Nobel de Chimie en 1944, pour sa découverte de la fission des noyaux lourds. Ce Prix, elle le mérite autant que lui.
Alors que Hahn Otto s'apprête à recevoir le prix, la rancœur n'a pas disparu et Lise Meitner ne se laissera pas attendrir par Hahn.
 « [Elle] a mûri. Huit années loin des siens et de ceux que l'on aime, ça vous transforme. Elle n'a pu compter que sur elle-même pour vivre, pour survivre, pour tout rebâtir ! La déception engendre les mutations. Et Hahn l'a déçue. Immensément. » 
Une histoire vraie qui fait froid dans le dos. 
Cyril Gely remet les choses dans l'ordre et braque les projecteurs sur Lise Meitner. 
Sur la forme : y'a du lourd, et c'est fichtrement BON  !!
Une lecture saisissante que je ne peux que vous recommander.


Sur la tombe de Lise on peut lire :
Lise Meitner, une physicienne qui n'a jamais perdu son humanité.


« Dans la pénombre, les souvenirs jaillissent. Ceux de la nuit du 12 juillet 1938. Et ceux d'avant. Jamais ceux d'après. Comme si cette date mémorable marquait, pour Edith, une frontière. Non entre le bien et le mal, mais plutôt entre l'insouciance et l'inquiétude. C'est depuis cette nuit-là qu'elle fait chambre à part avec Otto.

L'annonce du prix eut l'effet d'une bombe dans la petite communauté des scientifiques allemands. La reconnaissance de Hahn était aussi la leur. Et cette merveilleuse nouvelle venait, en quelque sort, cadenasser douze longues années de nazisme.
- Pour sa découverte de la fission nucléaire.
Les lèvres de Hahn ont remué imperceptiblement.
Il répète :
- Fission nucléaire.
Hahn se souvient d'avoir pleuré le soir du 6 août 1945, à Farm Hall, lorsque la BBC avait annoncé qu'une bombe atomique venait d'être lâchée. Hahn ce soir-là s'était senti personnellement responsable de la mort de centaines de milliers de personnes. Après tout, c'était sa propre découverte, en décembre 1938, qui avait rendu la bombe possible. La bombe nucléaire était à l'origine de tout. Un neutron entre en collision avec un noyau d'uranium, celui-ci - devenu instable - éclate aussitôt en dégageant une quantité colossale d'énergie. Hahn avait même pensé au suicide. Mais quelques doses de whisky et l'idée que la bombe A était la manière la plus rapide de mettre fin à la guerre lui remirent du baume au coeur. Il n'est pas dans le caractère de Hahn de s'apitoyer sur son propre sort.
Les yeux d'Edith se perdent dans la toile de Monet, accrochée sur le mur face à elle. Femme à l'ombrelle, tournée vers la droite. Le personnage du tableau est seul, pris en contre-plongée, dans un décor de flammes. Son visage est à peine suggéré. On devine difficilement ses yeux, sa bouche. Elle semble attendre. Attendre quoi ? Attendre qui ? Edith se reconnaît en elle, c'est certain. Une femme sans visage.
[...] elle sait mieux que quiconque que la fierté cimente un couple. Surtout que les années passent et que la passion s'affaiblit. Être fier, c'est aimer, respecter, c'est continuer d'avancer ensemble. Mais Hahn est à des années-lumière au-dessus de sa petite personne. Après une décennie de déchéance, l'Allemagne tout entière renaît à travers lui. Une fois encore, Edith ne fait pas le poids.
- Au moins, dit-il en quittant la fenêtre, aucun de nos scientifiques n'a du sang sur les mains.
- Aucun ?
- Pas un seul.
- Si avoir du sang sur les mains, c'est tuer quelqu'un, tu as sans doute raison. Si, en revanche, c'est dénoncer les gens, fabriquer des bombes ou favoriser l'eugénisme, les scientifiques dont tu parles n'ont rien à envier aux assassins. »

Quatrième de couverture

« Huit ans qu’elle attendait cette entrevue, qu’elle l’imaginait jour après jour. Elle avec Hahn. Elle contre Hahn. Huit ans. Et ce jour est enfin arrivé. »

Le 10 décembre 1946, au Grand Hôtel de Stockholm, Otto Hahn attend de recevoir le prix Nobel de chimie. Peu avant l’heure, il est rejoint dans sa suite par Lise Meitner, son ancienne collaboratrice avec laquelle il a travaillé plus de trente ans. Mais Lise ne vient pas le féliciter. Elle vient régler ses comptes. 
Dans ce huis clos implacable, Cyril Gely, l’auteur de la pièce de théâtre Diplomatie (adaptée à l’écran par Volker Schlöndorff et récompensée par le César de la meilleure adaptation), confronte la vérité de deux scientifiques aux prises avec l’Histoire.

Éditions Albin Michel, janvier 2019
220 pages 

Cyril Gely est romancier, auteur de théâtre à succès - plusieurs fois nommé aux Molière pour Signé Dumas (Francis Perrin/Thierry Frémont), Diplomatie (Niels Arestrup/André Dussollier) - et scénariste (Chocolat de Roschdy Zem avec Omar Sy et James Thierrée sortira début février).

Il a reçu le Grand Prix du jeune théâtre de l'Académie Française, le Prix du Scénario au festival International de Shanghai et le César 2015 de la Meilleure adaptation pour Diplomatie, réalisé par Volker Schlöndorf.

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