dimanche 15 décembre 2019

Le Rêve de l'Okapi ★★★★☆ de Mariana Leky

« Peu importe combien pèse le rocher.
Seule importe la raison
pour laquelle on le soulève. »
Hugo Girard,
l'homme le plus fort du monde, 2003

Une belle et émouvante histoire qui accroche le coeur, un roman d'apprentissage qui fait passer un bon moment, qui fait du bien.
Il y est question de voies intérieures, d'oniriques présages, de bouddhisme, d'amour, beaucoup d'amour et d'amitié, de superstitions, de violences et d'alcool, de transmissions inter-générationnelles, de secrets lourds à porter, de bizarreries aussi : un bouddhiste qui sort d'un bois et mange un mars par exemple, ou une jeune fille capable de faire tomber des choses.
Un village plein de charmes, aux habitants tous aussi charmants, ou presque tous : Luise, Selma, Martin, Palm, Astrid, Elsbeth, L'Opticien, Marlies la triste pour qui tout est toujours délavé et le temps passait sans raison...
Un petit rayon de soleil, ce livre. Une belle réflexion sur la mort et le sens de la vie, la vie réelle : comment être reconnaissant de vivre et regarder la lumière à travers les branches du pommier ? Se réjouir de la vie, simplement, et essayer par exemple de voir les choses comme si on les voyait pour la première fois.
Une lecture qui donne le sourire, et parfois, chiffonne le visage de larmes. 
Je comprends le succès que le livre rencontre en Allemagne. Il a un charme fou !

« Lorsqu'on regarde longtemps quelque chose de bien éclairé puis qu'on ferme les yeux, la scène réapparaît derrière nos paupières comme une image fixe, où ce qui était clair semble sombre et ce qui était sombre paraît clair. Ainsi, lorsqu'on observe un homme descendre la rue en se retournant pour faire un dernier, tout dernier, tout tout dernier signe de la main, puis qu'on ferme les yeux, on revoit, figés, le tout tout dernier signe de la main, le sourire , les cheveux sombres de l'homme qui sont devenus clairs et ses yeux clairs désormais très sombres.Lorsque ce qu'on a fixé était quelque chose de fondamental, quelque chose, disait Selma, capable de faire basculer toute l'immensité de la vie, alors cette image ne cesse de resurgir. [...] L'image ne cesse de réapparaître, elle surgit comme un écran de veille de la vie, souvent au moment où on s'y attend le moins. (Prologue)
Vous devez laisser le monde entrer un peu plus dans vos vies.
[...] par peur de perdre la vie, le facteur à la retraite avait perdu la vie.
Certains villageois pensèrent que le moment était venu de révéler une vérité cachée et se mirent à écrire des lettres exceptionnellement éloquentes, pleines de « toujours » et de «  jamais ». Ils se disaient qu'avant de mourir, il convenait au moins, à la dernière minute, de donner un peu authenticité à leur vie. Ils croyaient aussi que les vérités cachées étaient les plus authentiques de toutes : comme on n'y touche jamais, leur authenticité se fige, et comme le secret les condamne à l'immobilité, elles engraissent au fil des années. Les gens qui trimbalaient ces vérités cachées et obèses n'étaient pas les seuls à croire cela : la vérité elle-même croyait à authenticité de dernière minute. Elle aussi voulait absolument sortir in extremis, et elle proférait des menaces : mourir avec une vérité cachée serait particulièrement atroce ; il y aurait une lutte acharnée entre, d'un côté, la mort et, de l'autre, la corpulente vérité, qui refusait de mourir cachée, qui avait déjà passé toute sa vie refoulée, qui voulait maintenant émerger, rien qu'un instant, soit pour répandre une odeur pestilentielle et horrifier tout le monde, soit pour montrer que, à la lumière du jour, elle n'était pas si terrible ni si effrayante.Juste avant la fin présumée, la vérité cachée a l'urgent besoin d'une seconde opinion.
[...] l'homme idéal était pour moi celui qui m'évitait le spectacle de la marche du monde.
J'avais déduit toute seule que mon grand-père était mort, personne ne me l'avait dit explicitement. Selma prétendait qu'il était tombé à la guerre et j'avais compris qu'il avait trébuché. Mon père affirmait qu'il était resté à la guerre et j'avais compris que la guerre était un endroit où, à un moment de la vie, on avait par le passé séjourné longtemps.
Si tu veux mon avis, que le sexe avec Renate ait fait perdre la raison à ton mari ne révèle pas grand-chose sur la qualité de leur liaison. Après tout, quand on flanque un coup de poêle sur la tête de quelqu'un, ça lui fait perdre la raison aussi.Elsbeth sourit. La vérité ligotée, si volumineuse, pesait des tonnes, mais constater que l'opticien pouvait la tenir au creux de sa main lui faisait du bien.
Selma, ce n'est vraiment pas une raison pour te remettre à fumer, dit l'opticien.Un quart de seconde après avoir prononcé cette phrase, il sut que c'était la phrase la plus idiote prononcée depuis bien longtemps, et ce à une période avare en phrases idiotes. Plus idiote encore que celles sur le prétendu temps qui guérit toutes les blessures, plus idiote que celle sur les voies du Seigneur prétendument impénétrables.
Ça, ce n'est pas l'amour, c'est la mort.[...]Et il y a une différence subtile entre les deux, ajouta-t-elle en souriant. On en connaît qui sont revenus du royaume de l'amour.
[...] j'étais décrépite d'amour.
Merci de m'apporter comme ça, à la fin, autant de commencements, chuchota-t-elle, et merci de ne m'avoir rien dit de toute notre vie. Sans ça, nous n'aurions peut-être pas pu la passer ensemble. Imagine-toi un peu.
Pendant la brève allocution du pasteur du chef-lieu, mes parents se tinrent la main, parce qu'aux enterrements, on a tout naturellement recours aux mains de ceux qui nous ont longtemps aimé, et juste le temps d'un enterrement, le fait qu'ils ne nous aiment plus devient secondaire. »

Quatrième de couverture

Westerwald, 1933. Quand Selma rêve d'un okapi, le village tremble. Car nul n'ignore que ce songe-là est un songe funeste. Tous les habitants sont sur le qui-vive. Parmi eux, Luise, la petite-fille de Selma, observe avec son ami Martin les adultes prendre leurs dispositions, en prévision du pire : révéler sa flamme, avouer des secrets, quitter son mari, partir découvrir le monde...Mais le pire ne survient pas là où on l'attend.

Mariana Leky nous livre un joyau de charme et de fantaisie, d'une grande originalité. Acclamé par la presse, traduit dans le monde entier, Le Rêve de l'okapi connaît un succès phénoménal en Allemagne. Libraire puis journaliste, Mariana Leky vit à Berlin.

Éditions JC Lattès, avril 2019
363 pages 
Traduit de l'allemand par Céline Maurice
Prix des Libraires allemands 2019

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