lundi 9 décembre 2019

Le Signal ★★★★☆ de Ron Carlson

Les collines du Wyoming qui s'étagent en larges bandes marron et grises à perte de vue, aucun véhicule à la ronde, un paysage montagneux à couper le souffle, des lacs de montagne nichés au milieu de nulle part où les traces humaines sont quasi inexistantes, loin de la ville, loin de tout, un endroit où le temps est précieux... et ben, y' a pas de doute, j'embarque plutôt deux fois qu'une ! Un accord quasi parfait !

L'escapade, in fine, de ce couple fraîchement divorcé ne sera pas d'un repos optimal et aussi ressourçant et bénéfique qu'espéré. Mais quand bien même, je m'y projette bien, moi, arpentant ces collines, sac au dos, en pleine nature sauvage. L'écriture brute et sans artifice de Ron Carlson, les descriptions des paysages ne m'ont absolument pas fait regretter cette expédition de pêche, qui, sous nos yeux, se déroule d'une traite, il faut bien l'avouer. Pas le temps de dire Ouf ! que c'est déjà la fin.
Dépaysement assuré ! Pour le suspense, vous reviendrez en revanche.

A l'instar de Jack London, d'Edward Abbey et de Zane Grey, Ron Carlson signe là une aventure sur l'Ouest américain, d'une rare intensité, et qui fait la part belle à la nature âpre et sauvage Un régal !

Il y est question aussi d'amour, de transmission de valeurs, de solidarité et d'amitié. Également de dures et obscènes réalités aussi, qui, malheureusement, défigurent  un paysage, une journée, un instant. 

Très inspirante cette promesse de se dire que chaque année, on se fera une expédition pêche (ou pas pêche, peu importe) en pleine nature. Je valide !

À l'issue de cette lecture, je me fais moi aussi une promesse : celle de lire "L'ode à l'automne" de Keats. C'est de saison en plus ! Et de me procurer ou consulter le "merveilleux" livre de Finis Mitchell "Wind River Trails".
Et bien sûr merci Ron Carlson pour cette belle aventure. Merci aussi pour la petite précision en dernière page "Remerciements" : « [...] si je devais partir pour les Wind Rivers aujourd'hui, j'emprunterais la piste de Bears Ears et j'irais avant le 10 septembre. » C'est noté !

« Il contourna le camion, ouvrit le hayon et s'assit, levant enfin les yeux vers l'est, vers les collines du Wyoming qui s'étageaient en larges bandes marron et grises. Il faisait sombre ici, à la lisière de la forêt, mais la lumière se rassemblait de l'autre côté de la planète et il pouvait voir l'horizon doré à deux cent cinquante kilomètres de là.
C'était sa vie, chevaucher deux heures depuis un ranch qui était lui-même à une heure de la ville, tout en sachant qu'il y avait encore des heures d'inconnu devant lui. Les corniches de la vallée suivante se détachaient clairement et palpitaient dans l'air clair de l'été. Il y était allé une ou deux fois, peut-être ; il se rappelait une dépression avec deux creux pleins d'eau entourés de joncs au pied d'une colline de granit, mais la terre était vierge et, comme tant de choses à cette altitude, elle attendait encore. On lui avait dit qu'il ne restait plus que quelque endroits endroits dan le pays où une personne pouvait encore s'éloigner à huit kilomètres de la route, et, pour lui, cela restait la pire nouvelle qu'il ait jamais entendue. En ville, il ne se sentait pas lui-même et, bien qu'il aimât l'école, l'énergie qui y régnait, et qu'il puisse supporter un semestre, il ne faisait pas vraiment confiance à ce monde, ni à lui-même dans cet univers, et à la fin de chaque semestre, avant le dernier examen, sa voiture était déjà chargée, prête à partir, et il s'enfuyait vers la maison, vers les collines. Deux faucons prirent leur envol dans le ciel bleu inondé de soleil et échangèrent leurs postes d'observation dans la vallée à leurs pieds.
Les gens de la ville le prenaient pour un ermite. Il avait vingt ans. 
Il se souvenait de la manière dont son père gérait les gens visqueux - c'est ainsi qu'il les appelait. Plusieurs fois, des PDG venus au ranch avaient préféré parler affaires plutôt que partir en balade, poser des questions sur les chiffres et sur leur mode de vie. Son père adoptait toujours ses manières élégantes et cordiales avec ces gens-là, la rectitude, la politesse et la bonne posture. [...] « Les bonnes manières ne sont pas seulement la cerise sur le gâteau, Mack, lui avait-il dit. Les bonnes manières, toutes sans exception, sont des protections. Elles peuvent être plus efficaces que les muscles dans es endroits visqueux. Un homme fort est assez fort pour se maîtriser. » L'autre chose qu'il lui avait enseigné à un très jeune âge, c'était que, lors d'un dîner qui tourne mal, « un homme peut agir plus efficacement,t avec une serviette qu'avec une fourchette. »
Un mois plus tard, il se tint là où il se tenait ce soir, sous les cieux de la Terre, tandis que la nuit tombait progressivement, de plus en plus épaisse, sur l'immensité. Ce premier soir, il avait apporté le matériel pour eux deux, et quand sa vieille Volvo apparut en cahotant au col, il comprit et il sut. C'était il y a dix ans.
Mack avait regardé son père, les manches roulées, caresser de sa mouche la surface mystérieuse des eaux bleu-marron, et cette ligne délimitait le monde connu de l'inconnu. Mack se demanda comment il saisissait la profondeur de cette petite anse, comment il savait où les poissons se trouvaient, comment il savait tout ce qu'il savait. Ces questions semblaient toucher Mack en plein coeur, ce qu'il ressentit comme simplement de l'amour, l'ardent désir d'être à la hauteur, de maîtriser l'arithmétique.
Ils étaient sur le toit sauvage et âpre du monde.
Il était aussi loin des routes qu'on pouvait l'être dans ce pays, et il avait la sensation primitive et rare d'être la première personne à marcher ici et, quelques minutes plus tard, à marcher ailleurs. Depuis le début du temps. Ce plateau rocheux incliné était nu et indifférent ; parfois, certains endroits révélaient leur indifférence. Il s étaient là depuis une éternité et y resteraient. Les rochers se fichaient de ce qui arrivait à l'homme, ils s'en fichaient il y a mille ans et ils s'en ficheraient dans mille milliers d'années. Partout autour de lui, il voyait des rochers qui s'en fichaient et s'en ficheraient toujours. C'était exaltant, Mack savait qu'il était en plein mélodrame. Le soleil ici n'avait pas d'âge et il était lui aussi indifférent. Mack sourit. »  
Ils s'assirent sur la crête, adossés à une paroi de granit en plein soleil, et regardèrent devant eux les pentes raides couvertes de pins des hautes vallées grandioses de la chaîne des Wind River. Au sud, un grand cirque entouré de pitons rocheux, Armitage, Bellow et Craig, des montagnes dont les reproductions se retrouvaient en pagaille dans des calendriers européens chaque année, des montagnes qui avaient pris cent vies, des montagnes dont chacune avait une douzaine de vilains surnoms, de ces surnoms que les grimpeurs donnent aux endroits dangereux, des noms mauvais et mérités. Au nord, les manteaux des résineux qui s'effilaient aux alentours de 3500 mètres et laissaient paraître les promontoires rocheux arrondis des plus vieilles montagnes du Wyoming, striées de lignes de roche argentée et coiffées de neige au sommet la plus grande partie de l'année.


Quatrième de couverture

Pour la dernière fois, Mack et sa femme Vonnie partent camper dans les montagnes du Wyoming afin de se dire adieu. Enlisé dans les dettes, l'alcool et les trafics, Mack a peu à peu contraint Vonnie à renoncer à l'amour profond qui l'avait attirée vers l'Ouest, et la jeune femme a refait sa vie. Cette randonnée est un moment de complicité retrouvée, une ultime occasion de se révéler l'un à l'autre. Pour Mack, cette expédition est aussi la dernière mission qu'il exécute pour le compte d'un intermédiaire douteux afin de sauver son ranch de la faillite. Au cœur des vastes étendues sauvages, guidé par un faible signal GPS, il doit retrouver une mystérieuse balise égarée lors d'un survol de la région. Mais cette mission se révélera bien plus périlleuse que prévu.

Le Signal est un roman magistral combinant le destin d'un amour qui s'achève à un suspense qui nous mène au paroxysme de l'angoisse. Ce livre palpitant, doublé d'une magnifique description du Wyoming, est un texte puissant qui se lit d'une traite.

Éditions Gallmeister, janvier 2011
223 pages 
Traduit de l'américain par Sophie Aslanides

Comme Rick Bass et Jim Harrison, Carlson parle du monde naturel avec une autorité convaincante. Le Signal nous entraîne sur un territoire terrible et stupéfiant. En faisant cela, il devient tout à la fois une élégie à un mariage brisé et un roman au suspense à couper le souffle.
THE NEW YORK TIMES BOOK REVIEW

LES LIBRAIRES EN PARLENT
Le Signal, s’il se lit d’une traite, commence gentiment au rythme des souvenirs qui accompagnent les marcheurs, avant de se lancer presque subitement dans un sprint incroyable dans lequel la forêt – sa beauté folle et ses pièges – fournira une piste sublime et périlleuse.
Librairie des Cordeliers - Romans-sur-Isère

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