lundi 9 décembre 2019

Novecento : pianiste ★★★★★ de Alessandro Baricco


Sublime portrait.
Une pépite poétique d'une immense sensibilité.
Un texte inspirant. Un texte émouvant. 
Un texte déchirant de désespoir, aussi.

Alessandro Baricco est un virtuose des mots. Des mots, qu'il faut lire, mais également, dire ou écouter, pour en saisir tous les sons venus de l'autre monde. Le monde de Danny Boodmann T.D. Lemon Novecento. Novecento, a été abandonné, bébé, sur un bateau. Il deviendra le plus grand pianiste de tous les temps, un génie, un voleur d'âme. Il n'a jamais posé un pied sur le plancher des vaches et pourtant, le monde il le connaît. « Le monde, il ne l'avait peut-être jamais vu. Mais ça faisait vingt-sept ans que le monde y passait, sur ce bateau : et ça faisait vingt-sept ans que Novecento, sur ce bateau, le guettait. Et lui volait son âme. »

Mais Nom de Dieu, Novecento, se demande le narrateur, son ami, Tim Tooney, trompettiste, « pourquoi est-ce que tu ne descends jamais du bateau, même une fois, rien qu'une fois...? »

Une très belle histoire qui nous emmène au large, dans le creux des vagues, dans le creux de l'âme, dans les courbes d'un ragtime. 



« Croyez-moi, des bateaux comme celui-là, vous n'en trouverez pas d'autres : peut-être, en cherchant pendant des années, pourriez-vous retrouver un capitaine claustrophobe, un pilote aveugle, un radio qui bégaye, un docteur au nom imprononçable, tous réunis sur le même navire, et pas de cuisines. Peut-être. Mais ce qui n'arrivera plus jamais, ça vous pouvez en jurer, c'est d'être assis là, le cul posé sur dix centimètres de fauteuil au-dessus de plusieurs centaines de mètres cubes d'eau, en plein milieu de l'Océan, avec ce miracle devant vos yeux, cette merveille dans vos oreilles, ce rythme dans vos pieds et, dans votre coeur, le sound de l'unique, de l'inimitable, de l'immensément grand ATLANTIC JAZZ BAND !!!!!
Et c'est là, cette nuit-là, dans la salle des machines, que Novecento et moi on est devenus amis. À la vie à la mort. Pour toujours. Notre temps passa à calculer ce que ça pouvait faire en dollars, tout ce qu'on avait cassé. Et plus ça chiffrait, plus on riait. Quand j'y repense, je crois bien que c'était ça, être heureux. Ou que ça y ressemblait. Ce fut cette nuit-là que je lui demandai si elle était vraie, cette histoire, l'histoire de lui et du bateau, qu'il était né dessus, quoi, et tout le reste...si c'était vrai qu'il n'était jamais descendu. Et il me répondit :«Oui.- Mais vrai vraiment ? »Il était très sérieux.« Vrai vraiment. » Et je ne sais pas mais, à ce moment-là, ce que j'ai senti en moi pendant un instant, sans le vouloir, et sans savoir pourquoi, ça a été un frisson : et c'était un frisson de peur. De peur.
Tu pouvais te dire qu'il était fou. Mais ce n'était pas si simple. Quand un type te raconte avec une précision absolue quelle odeur il y a sur Bertham Street, l'été, quand la pluie vient juste de s'arrêter, tu ne peux pas te dire qu'il est fou pour la seule et stupide raison qu'il n'est jamais allé sur Bertham Street. Lui, dans les yeux de quelqu'un, dans les paroles de quelqu'un, cet air-là, l'air de Bertham Street, il l'avait respiré, vraiment. À sa manière : mais vraiment. Le monde, il ne l'avait peut-être jamais vu. Mais ça faisait vingt-sept ans que le monde y passait, sur ce bateau : et ça faisait vingt-sept ans que Novecento, sur ce bateau, le guettait. Et lui volait son âme.
Et il savait lire. Pas les livres, ça tout le monde peut, lui, ce qu'il savait lire, c'était les gens. Les signes que les gens emportent avec eux : les endroits, les bruits, les odeurs, leur terre, leur histoire...écrite sur eux, du début à la fin. Et lui, il la lisait, et avec un soin infini, il cataloguait, il répertoriait, il classait...Chaque jour, il ajoutait un petit quelque chose à cette carte immense qui se dessinait peu à peu dans sa tête, une immense carte, la carte du monde, du monde tout entier, d'un bout jusqu'à l'autre, des villes gigantesques et des comptoirs de bar, des longs fleuves et de petites flaques,et des avions, et des lions, une carte gigantesque. Et ensuite il voyageait dessus, comme un dieu, pendant que ses doigts se promenaient sur les touches en caressant les courbes d'un ragtime. »



Quatrième de couverture

«On me mettrait la tête en bas que rien ne sortirait de mes poches, même ma trompette, je l’ai vendue, j’ai tout vendu, quoi, mais cette histoire-là… non, cette histoire-là je ne l’ai pas perdue, elle est toujours là, limpide et inexplicable, comme seule la musique pouvait l’être quand elle était jouée, au beau milieu de l’Océan, par le piano magique de Danny Boodmann T. D. Novecento.» 

Né lors d’une traversée, Novecento n’a jamais mis le pied à terre. Il passe sa vie sur l’Atlantique les mains posées sur un piano, à composer une musique étrange et magnifique, qui n’appartient qu’à lui : celle de l’Océan.

Éditions Gallimard, Folio, nouvelle édition 2017
88 pages 

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