Editions Stock, 2015
209 pages
4ème de couverture
« Vous priez encore Dieu ?
– Bien sûr. Pourquoi ne le ferais-je pas ?
– Eh bien, il me semble qu’Il vous a abandonnée ces derniers temps.
– Allah ne m’a jamais abandonnée, c’est nous qui L’avons semé. »
Bilqiss est l’héroïne de ce roman : c’est une femme indocile dans un pays où il vaut mieux être n’importe quoi d’autre et si possible un volatile. On l’a jugée, on l’a condamnée, on va la lapider. Qui lui lancera la première pierre ? Qui du juge au désir enfoui ou de la reporter américaine aux belles intentions lui ôtera la vie ? Le roman puissant de Saphia Azzeddine est l’histoire d’une femme, frondeuse et libre, qui se réapproprie Allah.
Sophia Azzedine est écrivain et scénariste. Elle a publié entre autres La Mecque-Phuket et Confidences à Allah, qui a été un best seller, et a écrit et réalisé Mon père est femme de ménage.
Mon avis ★★★★★♥
Émue aux larmes, je viens de terminer ce livre, puissant et percutant, ô combien symbolique et salutaire.
Une rage incroyable s'en dégage, une force qui m'a littéralement transportée dans ce combat, ce procès vertigineux et cruel dont l'issue requise est inhumaine : la lapidation de Bilqiss, jeune femme condamnée pour avoir transgressé les règles et quelles règles : elle a appelé les fidèles à la prière, elle lit des livres qu'elle cache dans son jardin, possède du maquillage, des sous-vêtements à dentelle, des chaussures à talon, elle a retiré sa burqa devant un étranger, acheté des aubergines entières (et oui !).
La liste de ses méfaits est longue, les interdits puants (excusez moi du terme) ! Les règles sont établies pour protéger les femmes, mais oui bien sûr ... et les protéger de quoi ? Ah oui ...
"- J'ai encore confiance en vous, messieurs. Je nourris toujours l'espoir qu'un jour prochain vous réussirez à vus dépasser et vous parviendrez à nous considérer tout entières sans avoir une érection."
Bilqiss est une femme libre, qui se réapproprie Allah.
Bilqiss fait un portrait de sa religion, telle qu'elle devrait être, et non ce qu'elle est, pervertie par la crasse de l'Homme.
Elle clame son innocence et se défend avec beaucoup d'intelligence et de sagesse, allant jusqu'à blasphémer. Des vidéos de son audace, de ses propos sont projetés sur internet. Leandra, une jeune journaliste américaine, envahie de bons sentiments, décide alors de s'emparer du sujet et se rend dans le village de Bilqiss.
La confrontation entre les 2 femmes est très riche, et permet de lever les a priori, les idées reçues que chacune a à l'égard de l'autre peuple.
"-Leandra, c'est la raison pour laquelle il faut se méfier de ses bonnes intentions. Elles ne suffisent pas. Ce que nous connaissons de vous, c'est le pire : vos soldats, vos mercenaires, vos mensonges, le pillage que vous faites de nos biens et vos chanteuses dénudées. Vous arrivez chez nous, trop belle, trop gaie et trop chanceuse. Je sais que vous êtes admirative de notre famille et que, une fois rentrée dans votre pays, vous direz à tout le monde que nous ne sommes pas tous des terroristes, qu'il y a des gens incroyables ici , mais cela ne changera rien à nos vies. Nous sommes profondément malheureux, amers et désespérés. N'essayez pas de vous faire aimer de nous, nous n'en avons pas les moyens."
"-Vouloir m'aider était une noble pensée, Leandra. Pourtant ici les nobles pensées sont de belles salopes qui allument mais n'embrassent pas."Il faut aussi que je vous parle du juge, personnage quelque peu énigmatique, qui repousse la condamnation chaque jour au lendemain. Il est un personnage clé de ce récit, car il laisse entrevoir un infime espoir. Mais arrivera-t-il à repousser encore et encore l'issue fatale ? A contenir un public malveillant, enragé, écœurant qui clame haut et fort que cette jeune fille doit mourir ?
La scène finale est poignante, surprenante, émouvante, étincelante d'espoir.
Un roman choc, nécessaire sur la cause des femmes empêchées, emprisonnées, des femmes à qui toute liberté est refusée, un roman clairvoyant et essentiel sur la bêtise humaine.
Un petit bijou !
Merci aux équipes des médiathèques de ma ville, qui savent mettre en avant les petites pépites comme celle-ci, et grâce à qui j'ai découvert une auteure en plus d'un fabuleux roman.
Citations & Extraits
"Ce qu'ils attendaient, après tout, c'était de me tuer : se désaltérer avec mon sang, se gargariser avec mes larmes, valser au son de mes hurlements et bénir mon ultime gémissement. On ne venait pas au procès d'une femme déjà condamnée pour le plaisir." p.32
"[...] A vrai dire, j'aurais préféré avoir le pouvoir des hommes et manier les mots comme une bègue mais, après mille révolution, l'ordre ne s'était pas inversé : un femme était intelligente, un homme était puissant." p.45"Mais la beauté, par nature, ne supporte pasd'être voilée,Le beau visage ne peut endurer levoilement,et si tu fermes la porte à la belle face, elle semontrera par une autre ouverture.Regarde la tulipe dans la montagne,Comme elle se montre joyeuse et verdoyanteau printemps,Fendant la pierre dureEt révélant alors sa beauté."Vers de Djâmi.p. 73"[...]. Elle devait juste faire face à des accusations invraisemblables comme celle, par exemple, d'avoir acheté des aubergines entières de forme phallique au marché, alors qu'il était obligatoire de les faire prédécouper par le maraîcher avant des les rapporter chez soi. Qu'y avait-il à répondre à cela ? Un bras d'honneur de forme phallique me semblait la répartie la plus appropriée.[...]" p.92"-Non, c'est seulement du vol, la corrigeai-je. Le viol, c'est quand des mercenaires de votre pays viennent défoncer les portes de nos maisons, terroriser nos familles et qu'ils violent les pucelles parce que leur trou est aussi serré que les chas d'une aiguille." p.149
"Bien manger, satisfaire tous les sens et faire son devoir, c'est ma ligne de conduite morale. La cuisine rapproche les gens, elle est une facette de notre identité, elle participe à la vie de la nation, elle ne sera jamais détruite car les hommes voudront toujours manger. Soupe à l'agneau et citron noir, pain sucré à la cannelle de Ceylan, ragoût de veau et d'amandes en lamelles, riz aux mandarines confites, agneau aux racines de lotus ou curry de poisson à l'indienne avec une touche de romarin sont mes armes. Elles vous font sourire mais quand des fous, comme ceux qui sont venus toquer à la porte de votre école, se présenteront à celle de ma cuisine, ces plats-là seront ma fortune parce qu'il ne s'en fait pas de meilleurs. Si vous avez échoué avec votre tête, ne sous-estimez pas mes mains et, par pitié, ne me réduisez pas à celle qui fait sourire." p.178
"Donc elle a fait un truc hyper grave, un truc qui ne se fait pas chez eux, elle a chanté la prière en haut de leur tour Eiffel, et elle a dit des trucs qui ne sont pas dans le Coran, c'est ça ?" p.192
"Structurellement nous avons une bite dans le cerveau, vous ne pourrez jamais rien y changer à cela, on aura toujours envie de baiser, sa femme ou une autre, notre queue est l'histoire de notre vie et vous, les femmes, en êtes l'épilogue. Généreux ? Quand on est avocat, qu'on vient d'une grande famille et qu'on habite dans une ville comme New-York, être généreux, Leandra, c'est comme pleur devant Bambi, c'est normal, bordel de Dieu!" p.194
Pour aller plus loin
"Bilqiss" de Saphia Azzedine, l'histoire d'une... par la-grande-librairie
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