jeudi 16 juin 2016

La mort est mon métier de Robert Merle*****

Editions Gallimard, collection Folio, Juin 1972
370 pages
Première parution en 1952

4ème de couverture


«Le Reichsführer Himmler bougea la tête, et le bas de son visage s'éclaira...
- Le Führer, dit-il d'une voix nette, a ordonné la solution définitive du problème juif en Europe.
Il fit une pause et ajouta :
- Vous avez été choisi pour exécuter cette tâche.
Je le regardai. Il dit sèchement :
- Vous avez l'air effaré. Pourtant, l'idée d'en finir avec les Juifs n'est pas neuve.
- Nein, Herr Reichsführer. Je suis seulement étonné que ce soit moi qu'on ait choisi...»

Mon avis  ★★★★★


5 étoiles sans hésiter pour ce grand grand classique, indispensable, nécessaire mais ô combien difficile à lire, à entendre, à réaliser. 

Les pages sont lourdes tant elles regorgent de réalités, de scènes, de données chiffrées accablantes, qui donnent la nausée, la chair de poule.

Je termine cet opus, l'estomac noué, la gorge serrée.

Pourtant, je ne peux que vous conseiller de lire ces pages qui donnent un éclairage très précis, quasi clinique, sur une fâcheuse réalité : comment un homme ordinaire peut basculer dans l'horreur la plus totale, et commettre l'irréparable.
Il est certain que si vous êtes plus attirés par une lecture sucrée, détente en ce moment, il vaut mieux remettre cette lecture à plus tard.

Rudolf Lang (personnage inspiré de Rudolf Hoess), "une sacrée caboche de Bavarois", "un hareng mort", "tout à fait sans coeur" (comme il se décrit lui-même), cynique personnage "aux yeux froids", "déshumanisé" ... suit les ordres tombés de plus haut, fait son devoir à tout prix, désireux aveuglement de suivre les ordres et à qui "il n'est jamais venu à l'idée de désobéir aux ordres".
Himmler en personne lui confie la tâche de former un escadron de SS, puis celle abjecte d'exterminer le plus d'"inaptes" possibles, davantage qu'à Treblinka. Ce sont des ordres !
A plusieurs reprises, on perçoit des doutes, des tentatives de refus de la part de Rudolf, mais les ordres sont les ordres.

"Notre Führer Adolf Hitler avait défini une fois pour toutes l'honneur SS. Il avait fait de cette définition la devise de sa troupe d'élite : "Ton honneur", avait-il dit, "c'est ta fidélité". Désormais, par conséquent, tout était parfaitement simple et clair. On n'avait plus de cas de conscience à se poser. Il suffisait seulement d'être fidèle, c'est-à-dire d'obéir. Notre devoir, notre unique devoir était d'obéir. Et grâce à cette obéissance absolue, consentie dans le véritable esprit du Corps noir, nous étions sûrs de ne plus jamais nous tromper, d'être toujours dans le droit chemin, de servir inébranlablement, dans les bons et les mauvais jours, le principe éternel : L'Allemagne, l'Allemagne au-dessus de tout."

"- Mais c'est tout bonnement impossible !

[...]

- Mein Lieber, dit-il d'un air jovial et important, Napoléon a dit qu'"impossible" n'était pas un mot français. Depuis 34, nous essayons de prouver au monde que ce n'est pas un mot allemand."

Les chiffres ne me dérangent pas mais ceux relatifs à Auschwitz, aux Konzentrationslager, alors ceux-là, je les vomis (excusez-moi pour l'image !). 
Les descriptions sont cliniques. Aucun détail n'est épargné au lecteur, les étapes nécessaires à l'élaboration de la meilleur technique, celles qui vont permettre de tuer encore davantage sont disséquées, de même que celles qui visent l'extermination totale ... Rappelez moi, je vous ai dit que cette lecture n'était pas une lecture détente !
Pourtant, il faut les avoir lus ces détails, au moins une fois, pour ne pas oublier, pour essayer aussi de comprendre comment les SS ont pu basculer dans ces abjections les plus totales.
L'absurdité de la guerre n'échappe pas à la plume de Robert Merle. On retrouve le même désarroi des soldats qu'évoquer dans "Les Feux" quand la guerre s'arrête et qu'ils sont livrés à eux-mêmes, plus aucun ordre ne tombant d'en-haut, ne sachant que faire, ni comment agir. Des jeunes enrôlés que l'on s'empresse de destituer quand on n'a plus besoin d'eux.

Rien n'est suggéré dans cette oeuvre, la plume est excellente, sans concession aucune ... 
C'est aussi ça la littérature, porter un regard sur les pages sombres de l'Histoire fait du bien quelque part, et aiguise notre perception et notre conscience, nous pousse à réfléchir.
Une oeuvre capitale.

Extraits et Citations



"J'étais poli et déférent, je ne posais pas de question, je ne réclamais rien, et je faisais toujours instantanément tout ce qu'on me disait de faire."

p. 176

"Le 11 janvier fut pour les combattants du Parti une date décisive. le gouvernement du Président Poincaré fit occuper la Ruhr. [...] L'indignation, dans toute l'Allemagne, flamba comme une torche. Le Führer avait de tout temps proclamé que le Diktat de Versailles ne suffisait pas aux Alliés, et qu'ils voudraient, tôt ou tard, porter le coup de grâce à l'Allemagne. L'événement lui donnait raison, les adhésions au Parti se multiplièrent [...], et la catastrophe financière qui s'abattit ensuite sur notre malheureux pays ne fit qu'accélérer encore l'essor prodigieux du Mouvement."
p. 174

"Le devoir, à chaque minute de ma vie, m'attendait."
p. 173

""L'Allemagne paiera!" voilà ce qu'ils ont trouvé: Ils vont nous prendre tout notre charbon ! Voilà ce qu'ils ont trouvé, maintenant! Regarde donc, c'est écrit là-dessus, noir sur blanc! Ils veulent anéantir l'Allemagne!"
p. 161

"- Ce n'est pas du sabotage, Junge, c'est de la solidarité.
Je ne répondis rien, et il reprit :
- Réfléchis. A l'armée, il y a les chefs, et il y a les ordres, et après, il n'y a plus rien. Mais ici, il y a aussi les camarades. Et si tu ne tiens pas compte des camarades, tu ne seras jamais un ouvrier."
p. 125

"Mein Lieber vous ne comprenez pas ! Ce village était arabe. Il n'était donc pas innocent..."
p. 97

"Quatsch ! Quelle bêtise ! J'aime mes hommes ! Voilà bien leur stupide sentimentalité ! Il faut qu'ils foutent l'amour partout ! Ecoute, Rudolf, je n'aime pas mes hommes, je m'occupe d'eux c'est différent. Je m'occupe d'eux parce que ce sont des dragons, et je suis officier des dragons, et l'Allemagne a besoin de dragons, et c'est tout !"
p.68
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"Quand il n’y a plus de liberté, il n’y a plus de vérité. L’homme soumis accepte de perdre l’essentiel."  "Impertinences", de François Lefort

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