vendredi 17 juin 2016

La confusion des sentiments de Stefan Zweig*****


Editions Le Livre de Poche, Octobre 1992
124 pages
Traduit de l'allemand par Olivier Bournac et Alzir Hella
Parution originale : Verwirrung der Gefühle, 1927

4ème de couverture


Au soir de sa vie, un vieux professeur se souvient de l’aventure qui, plus que les honneurs et la réussite de sa carrière, a marqué sa vie. A dix-neuf ans, il a été fasciné par la personnalité d’un de ses professeurs ; l’admiration et la recherche inconsciente d’un Père font alors naître en lui un sentiment mêlé d’idolâtrie, de soumission et d’un amour presque morbide.
Freud a salué la finesse et la vérité avec lesquelles l’auteur d’Amok et du Joueur d’échecs restituait le trouble d’une passion et le malaise qu’elle engendre chez celui qui en est l’objet.
Paru en 1927, ce récit bref et profond connut un succès fulgurant, en raison de la nouveauté audacieuse du sujet. Il demeure assurément l’un des chefs-d’œuvre du grand écrivain autrichien.

Mon avis  ★★★★★


Emportée, enivrée, bercée par la vague de vos mots, de votre poésie, de votre plume, vous décrivez si justement les sentiments, la passion amoureuse, les sentiments d'amitié et les souffrances qui peuvent en découler, Mr Zweig, que j'en suis troublée, "magiquement embrasée", et que cela en est sensiblement éprouvant...
"[...] les mots se précipitaient sur moi comme s'ils me cherchaient depuis des siècles; le vers courait, en m'entraînant comme une vague de feu, jusqu'au plus profond de mes veines, de sorte que je sentais à la tempe cette étrange sorte de vertige ressenti quand on rêve qu'on vole. Je vibrais, je tremblais; je sentais mon sang couler plus chaud en moi; une espèce de fièvre me saisissait [...]" p.32
 "Je tremblais de joie, car rien ne trouble plus puissamment quelqu'un que la réalisation subit de sont ardent désir." p.79 

Mr Zweig, je vous déclare ma flamme, je veux boire encore vos mots, fondre sous votre plume, effleurer votre talent du bout des yeux! 
Quelque peu honteuse, de ne découvrir ce récit qu'aujourd'hui; comment ai-je pu passer à côté ?
Une telle atmosphère bouillonnante de sentiments se dégage de votre chef-d'oeuvre!
Quelle lecture vertigineuse, enflammée, captivante, exaltante, jaillissante! Quelle effusion!

Vous l'aurez compris, j'ai adoré cette oeuvre, je tourne la dernière page, le coeur palpitant, emballé. Quelle merveille! Quel frémissement!
Des petites pointes d'humour sont habilement distillées, quand il narre les situations honteuses, "tragi-comiques" dans lesquelles se retrouvent Roland à deux reprises.

Waouh ! Merci, vous m'avez fait vibrer Mr Zweig !
Et vous avez de nouveau éveillé en moi l'envie de me replonger dans Shakespeare. Merci !


Extraits & Citations


"Pour moi, ce fut le premier ébranlement que je subis, à dix-neuf ans : il jeta par terre, sans même un seul mot violent, tout l'emphatique château de cartes que mon désir de faire l'homme, d'imiter l'impertinence des étudiants et de m'encenser moi-même, avait édifié en trois mois." p. 20 (à propos de son père)
"[...] je me découvrais, moi, passionné par essence, une nouvelle passion qui m'est restée fidèle jusqu'à aujourd'hui : le désir de jouir de toutes les choses terrestres dans des mots inspirés" p.33
"Celui qui n'est pas passionné devient tout au plus pédagogue; c'est toujours par l'intérieur qu'il faut aller aux choses, toujours, toujours en partant de la passion". p.40 
"Je passais les deux semaines qui suivirent dans une fureur passionnée de lire et d'apprendre. [...] Il en était de moi comme de ce prince du conte oriental qui, brisant l'un après l'autre les sceaux posés sur les portes de chambres fermées, trouve dans chacune d'elles des monceaux toujours plus gros de bijoux et de pierres précieuses, et explore avec une avidité toujours plus grande l'enfilade de ces pièces, impatient d'arriver à la dernière. C'est exactement ainsi que je me précipitais d'un livre dans un autre, enivré par chacun, mais jamais rassasié : mon impétuosité était maintenant passée dans le domaine de l'esprit." p.41
"C'était la première fois de ma vie que je rencontrais le visage de quelqu'un qui souffrait véritablement. Fils de petites gens, élevé dans le confort d'une aisance bourgeoise, je ne connaissais le souci que sous les masques ridicules de l'existence quotidienne : prenant la forme de la contrariété, portant la robe jaune de l'envie ou faisant sonner les mesquineries de l'argent; mais le trouble qu'il y avait dans ce visage provenait, je le sentis aussitôt, d'un élément plus sacré. Cet air sombre venait de sombres profondeurs; c'est de l'intérieur qu'une pointe cruelle avait ici dessiné ces plis et ces fissures dans ces joues amollies avant l'âge." p.55
"[...] cet homme singulier tirait toutes ses pensées de la musicalité du sentiment : il avait toujours besoin de prendre son élan pour mettre ses idées en mouvement." p.62
"[...] les murs resserrés, dont l'écho lui répondait, devenaient trop étroits pour elle [sa voix], tant il lui fallait d'espace; je sentais la tempête souffler au-dessus de moi; la lèvre mugissante de la mer criait puissamment ses mots retentissants : penché sur la table, il me semblait être de nouveau dans mon pays, au bord de la dune et voir venir vers moi, en haletant, ce grand frémissement fait de mille flots et de mille tourbillons de vent." p.64-65
"Et je le sais, ce sont ces heures-là qui m'ont fait." p.66

"Je tremblais de joie, car rien ne trouble plus puissamment quelqu'un que la réalisation subit de sont ardent désir." p.79
"[...] ce bourreau à qui, malgré tout, j'étais attaché avec amour,que je haïssais en l'aimant et j'aimais en le haïssant." p.91
"[Ils] se permettaient de petites privautés que nous étions obligés de supporter avec une certaine gêne". p102
"Morceau par morceau, un homme arrachait sa vie de sa poitrine, et en cette heure-là, moi qui étais encore si jeune, j'aperçus pour la première fois d'un œil hagard, les profondeurs inconcevables du sentiment humain." p.114



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